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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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près. L’artillerie lourde aura tout loisir de se préparer à chaque étape de l’offensive, dans une escalade de la poussée en force. Foch ne croit pas à la brusque percée mais il estime qu’« en appuyant fortement sur un point bien choisi, on pourra ébranler le front et ensuite, par de. nouvelles pressions successives, mais bien préparées, lentes, méthodiques, renverser l’obstacle et passer ».
    Le gouvernement ne suit pas, il temporise. Le cabinet Viviani est au bord de l’effondrement. En pleine crise politique, Joffre insiste désormais pour qu’on sauve l’armée serbe en persuadant les Anglais d’envoyer des forces à Salonique, où Sarrail tente de remonter la vallée du Vardar. Ce devoir impérieux doit s’accompagner d’une démonstration de force contre la Grèce hostile. Le cabinet britannique hésite longtemps. Delcassé, réticent à l’expédition d’Orient, a quitté le gouvernement. Viviani doit céder la place à Briand, nommé à la fin d’octobre. Joffre accepte la désignation de Gallieni comme ministre de la Guerre. Non seulement celui-ci ne remet pas en question la présence de Joffre à Chantilly, mais il accepte qu’il soit nommé généralissime des armées françaises, avec autorité sur l’armée Sarrail en Orient, à condition qu’il prenne Castelnau comme major-général. À peine Briand est-il en poste qu’une solution de pondération est imposée dans le haut commandement. Sous couleur de grandir Joffre, on le coiffe d’un ministre des plus circonspects, on le flanque du « capucin botté » Curières de Castelnau à qui l’on donne autorité sur le franc-maçon Sarrail. Briand divise pour régner.
    Il vient de faire à la commission des Affaires étrangères de la Chambre une déclaration sans équivoque. Loin de lui l’idée de rechercher une paix de compromis. « Je ne vous cacherai pas, dit-il, que je serais tout disposé, pour le moment, à considérer le mot paix comme un mot séditieux. » En France, les socialistes de la Haute-Vienne commencent à reprocher à leur appareil d’être « chauvin ». En Allemagne, un groupe de minoritaires s’est constitué au Reichstag autour de Karl Liebknecht pour refuser la guerre de conquête programmée par le « manifeste des grandes associations allemandes » qui exigent l’annexion de la Belgique, du littoral français, du bassin de Briey, d’un « territoire de colonisation à l’est » et des provinces baltes. Il est temps, pour Briand comme pour Bethmann-Hollweg, de raffermir leur opinion.
    Celle des poilus est-elle ébranlée par la trop longue guerre et l’échec sanglant des offensives ? Chez les soldats du Midi, pas de découragement. Émile Bouquet, maréchal des logis au 56 e régiment d’artillerie d’Albi, est allé en permission de détente, avant l’offensive de Champagne. « Notre ennemi est rudement fort et tenace, écrit-il à son épouse, Angèle. En viendrons-nous à bout ? » Les journaux assurent que les Allemands sont exténués, que le blocus les affame. Il a vu passer des convois de prisonniers entassés dans des autobus. « Ils n’avaient pas l’air de mal se porter. » Il retrouve sans plaisir la vie de tranchée après l’échec de l’offensive où il a perdu ses meilleurs camarades. « Des tranchées à droite, à gauche, dans tous les sens, dit-il, des trous d’obus partout. Des cadavres à moitié enterrés. Au moins, s’il y avait de l’eau ! On fait six kilomètres pour aller en chercher dans des barriques. » Il fait froid dans la plaine crayeuse où le vent souffle sans arrêt. Dans le village de Perthes, proche de Saint-Dizier, ni eau ni vin. Il faut attendre la pluie pour pouvoir se laver.
    Les morts de l’offensive sont souvent restés sur place. Les servants d’une batterie de 105 allemande ont séché à leur emplacement. « Un rat fait du trapèze dans leurs côtes. » Personne n’a pu les ensevelir sans risque. Dans ce désert de Champagne, la canonnade rend fou et sourd. Le soldat Émile doit accomplir chaque jour huit kilomètres pour faire boire les chevaux de sa pièce à l’abreuvoir. Il a touché un masque contre les gaz asphyxiants qui sent l’éther et le soufre. « Un nouvel hiver nous effraie », dit-il.
    Quand tombent les obus d’une demi-tonne, la terre tremble. Le rêve est d’être malade, pour pouvoir quitter les lignes. Émile va voir le major. Mais il n’est ni tuberculeux ni atteint par la dysenterie.

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