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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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Une simple pilule, et il repart. Comment se plaindre, alors qu’on vient d’apprendre que Castelnau a perdu trois de ses fils au front ? La nouvelle fait le tour des popotes. La résignation domine dans le courrier de l’Albigeois : « Les jours s’écoulent sans grands changements, écrit-il en octobre. Maintenant la Bulgarie contre la Serbie […] que tous s’y mettent, le monde entier se massacrera et lorsque l’on sera fatigué de sacrifier des vies humaines, on dira : c’est assez ! D’ici là que de morts en puissance ! »
    Il a très envie de voir marcher son petit Georges, son enfant qu’il ne connaît pas. Il veut que sa femme touche l’allocation. « C’est bien gentil de tenir, lui dit-il, mais on ne regarde pas si nous en avons les moyens. » Il attend les colis de grattons et de lapin aux olives. Il demande du tabac et de l’amadou. Sa femme lui annonce quinze mille hommes perdus pour la ville d’Albi. « C’est énorme, dit-il, mais les régiments qui ont recruté dans notre ville sont le 15 e et le 145 e , le 122 e et le 80 e , les 142 e , 81 e , 96 e , 53 e et les régiments coloniaux, tous du 16 e corps d’armée. » De fait, les soldats des dépôts étaient versés immédiatement dans les unités les plus éprouvées. Ainsi le 81 e de Montpellier, renforcé par des éléments d’Albi, avait successivement perdu depuis le début de la guerre onze mille hommes, soit l’effectif de trois régiments.
    À quand la fin du massacre ? « On discute dans le vide, dit Émile, la guerre peut finir le jour où l’on s’y attendra le moins, ou durer un an, ou davantage […] Nous pouvons tenir longtemps. Nous sommes tous très fatigués, certains jours encore davantage, mais s’imaginer sous la botte de ces gens-là ! » C’est une motivation forte des poilus. Ils ont perdu trop de monde, supporté trop d’épreuves, pour consentir à l’invasion. « L’avance à laquelle nous avons tous cru s’avère impossible. » Déception du dernier échec. Mais « la France n’a jamais été abandonnée dans les jours les plus pénibles. Attendons ».
    *
    Émile demande des sabots, de l’eau de Cologne et une couverture, sans oublier les plumes pour écrire. À la fin d’octobre on lui annonce qu’il restera sur la position au moins six mois. La guerre s’enterre de nouveau. Il n’entend pas parler d’une nouvelle offensive.
    Il maudit ces temps de malheur qui obligent les hommes à se terrer dans les cagnas et à livrer les chevaux sans abris au vent et à la pluie. « Je maudis cette guerre et ceux qui en sont les auteurs. Si seulement quelqu’un s’en fatiguait ! Bandes de sauvages, tous autant que nous sommes ! »
    Mais l’arrière peut-il se rendre compte des souffrances des poilus ? « Tous ceux qui en reviennent sont unanimes, à l’intérieur personne ne manque de rien, tous sont si habitués à cet état de choses que pour la plupart ils n’imaginent pas ce qu’endurent nos pauvres soldats. » Les permissions, de ce point de vue, sont une épreuve de plus pour les poilus qui se sentent isolés sur les lignes. Pourquoi la guerre fini-rait-elle alors que l’arrière en prend si aisément son parti ? « Les théâtres jouent, le monde s’amuse ; pendant ce temps, de pauvres malheureux se font tuer, alors que tout le monde devrait être en deuil et recueilli ; personne, vous m’entendez, personne ne songe à eux. Alors pour qui ? pour quoi versent-ils leur sang ? »
    On triche sur les permissions, en rajoutant des jours sur les feuilles. Quand les coupables sont traduits en conseil de guerre et condamnés à deux ou trois ans de prison, les poilus grognent ; c’est trop cher payé. Les commentaires en popote sont unanimes : l’arrière se moque d’eux. Une femme ne voulait pas laisser repartir son mari, un soldat du 309 e de Chaumont. Elle voulait le cacher dans sa cave. Les troupes d’active ont le même moral bas que les réservistes. Les jeunes ne pensent pas autrement que les anciens : ils souhaitent que la guerre finisse au plus tôt. Au 309 e , les soldats cherchent à s’échapper de la tranchée en postulant pour l’artillerie, l’aviation, les services automobiles : toutes demandes généralement refusées. Quand l’un d’entre eux obtient satisfaction, on le soupçonne d’avoir bénéficié d’une protection politique. Les permissionnaires venus de Paris affirment que l’arrière n’est plus certain de la

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