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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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est trop tôt, pense-t-on à Chantilly, pour en prévoir le point d’application principal.
    *
    Verdun, sept heures du matin, le 21 février 1916. Les roues de la tonne à eau grincent sur le chemin pierreux qui apporte le café aux chasseurs de Driant, tapis dans le bois des Caures. Le soleil se lève, radieux, au-dessus des lignes allemandes. Les hommes des 56 e et 59 e bataillons, du recrutement de Lille et d’Épernay, n’ont aucune raison de redouter une offensive, même si les guetteurs signalent des bruits de charrois sur les routes.
    L’état-major n’est pas plus inquiet. Un prisonnier alsacien capturé le 20 février a bien affirmé que l’attaque était pour le lendemain, mais personne ne veut le croire. Le général Herr, qui commande la région fortifiée, a constaté que les Allemands n’avaient pas creusé de parallèles d’attaque. Langle de Cary, commandant du groupe d’armée depuis son PC assez éloigné d’Avize, au sud d’Épernay, ne croit pas à un assaut dans cette région tourmentée. À Chantilly, les renseignements affluent, mais ils sont contradictoires. Les mouvements de trains, les colonnes sur les routes repérées par les aviateurs peuvent aussi faire croire à une offensive en Champagne.
    Un coup de canon troue le ciel de Verdun, puis d’autres, très nombreux. Les chasseurs de Driant gagnent leurs abris en toute hâte. Leurs positions sont écrasées par les tirs de Minenwerfer, par les obus de 155 et de 210 qui abattent les arbres du bois des Caures mais aussi ceux d’Haumont vers l’ouest, d’Herbebois à l’est. Le général Chrétien, qui commande à Verdun, envoie l’aviation. Un seul appareil peut rejoindre sa base. « Il y a partout des batteries, dit l’aviateur, elles se touchent, les flammes de leurs obus forment une nappe continue. »
    Patiemment, presque clandestinement, 1 250 pièces avaient été rassemblées, de tous calibres, sur un front très réduit de vingt kilomètres et soigneusement camouflées. Les 270 canons français sautaient comme des fétus de paille sous le tir des pièces lourdes. Elles frappaient jusqu’à trente kilomètres, pour empêcher l’arrivée des renforts. Des pièces de 240 étaient écrasées dans le ravin d’Haudremont. Très vite, l’artillerie française était réduite au silence. À Romagne, un village au nord d’Ornes doté d’un bon observatoire, trente pièces allemandes de 210 et deux batteries de 420 étaient alignées sur des plates-formes de béton, bâchées, camouflées, pour éviter les observations aériennes. Cent pièces venues de la place de Metz étaient tapies dans le bois de Tilla. Les 150 à tirs courts touchaient même les ravins et les crevasses, avec une précision stupéfiante.
    Les bois compris entre Brabant, Ornes et Verdun recevaient en quelques heures deux millions d’obus. Ce Trommelfeuer avait été minutieusement préparé par von Falkenhayn qui voulait affirmer sur le terrain précis, limité de Verdun la primauté absolue de l’industrie allemande.
    La guerre changeait d’esprit. Plus d’offensive stratégique destinée à ouvrir à l’armée des mouvements de percée et d’enveloppement, comme au temps de von Schlieffen. Il suffisait pour arrêter la guerre et décourager l’ennemi de lui prouver que la supériorité allemande du feu était capable de transformer un secteur paisible du front en enfer, où rien ne pourrait survivre. Le Kronprinz disait aux officiers avant le début de l’attaque : « Mes amis, il nous faut prendre Verdun. Il faut qu’avant la fin de février, tout soit terminé. L’empereur viendra alors passer une grande revue ( eine feste Parade) sur la place d’armes de Verdun et la paix sera signée. » Il n’est pas question d’offensive ni de stratégie. Six divisions seulement sont massées pour l’assaut, contre deux françaises.
    La prise de Verdun ne suppose pas, à l’origine, un affrontement désordonné de centaines de milliers d’hommes sur le terrain, mais doit résulter d’une telle démonstration de puissance industrielle qu’on fera même l’économie de l’assaut. Les Français, surpris, paniques par un tel déploiement de force, demanderont la paix. C’est le calcul des Américains, en 1945, à Hiroshima.
    Verdun, ville mythique de la Germanie au temps de Charlemagne, prise par les Prussiens en 1792 et en 1870, doit tomber par la volonté de Krupp et de l’industrie chimique de Mannheim-Ludwigshafen. L’état-major

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