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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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D’autres unités rejoignent le 95 e dans une ligne improvisée de défense. Les ordres sont d’engager les renforts « le plus tôt possible, à fond et jusqu’au dernier homme ». Langle de Cary, qui voulait abandonner la rive droite de la Meuse, est fermement semoncé par Joffre. Pétain est nommé dans la nuit du 25 au 26 pour animer la résistance. « Tout chef qui donnera un ordre de retraite sera traduit en conseil de guerre », a dit le généralissime.
    Les poilus du 95 e ignorent ce flottement dans l’état-major. Péricard et ses camarades dorment dans des replis du terrain, blottis les uns contre les autres, marmités au matin par des tirs de 77 qui détruisent le village. Impossible de boire le café. Les roulantes ne peuvent approcher. Les cadavres s’accumulent, répandant une odeur insupportable. « Nous faisons les morts, explique Péricard, couchés pêle-mêle au fond de la tranchée, par-dessus les morts véritables, les bras étendus, la bouche ouverte, afin de donner aux observateurs l’illusion que tous les défenseurs du village sont tués et que toutes nos défenses ne sont plus qu’un vaste cimetière. » Pas le moindre tir d’artillerie français pour soutenir les défenseurs : « Nous avons l’impression, dit Péricard, d’être seuls, abandonnés du reste de l’armée, holocaustes choisis pour le salut de Verdun. »
    Les poilus des deux divisions d’origine combattent depuis quatre jours et leurs survivants tiennent encore. Ils ont reçu trois divisions en renfort, le plus souvent arrivées à pied. « Partis de Charmes-sur-Meuse dans les Vosges, dit le caporal Macquot du 156 e de Troyes, nous avons marché toute une journée et toute une nuit, et nous sommes arrivés à la côte de Poivre le 25 février au début du jour. On nous avait dit : nous ne savons pas où est l’ennemi, allez de l’avant jusqu’à ce que vous le rencontriez et là, fortifiez-vous sur place. »
    Rien n’illustre mieux le sacrifice de cette infanterie : mission désespérée, tâtonnante, sans ordres fermes. Les soldats qui prennent position après de longues marches sont exténués. Ils sont immédiatement pris sous le bombardement : « À chaque rafale qui passe, dit un aspirant de chasseurs, le corps se resserre, les nerfs se contractent, et la respiration se fait plus courte, plus saccadée. » Un lieutenant qui ne supporte plus d’être accroupi dans son abri sort et se fait décapiter par un éclat.
    Les officiers sont dépassés par la situation. Plus d’abris, plus de tranchées, et des bataillons de plus en plus compacts d’Allemands à l’attaque. Un vieux capitaine de Rohan veut former le carré comme à Waterloo. Le colonel du 85 e de Cosne recourt à cette tactique parfaitement anachronique pour résister à un assaut. Les 210 emportent soixante hommes par obus. Les bataillons fondent de moitié. Force est de se jeter dans les trous pour laisser passer les rafales. Quand Pétain prend son commandement, les Allemands peuvent encore l’emporter.
    *
    Ils donnent des signes d’essoufflement. Les divisions prévues pour l’assaut ont toutes été engagées et malmenées par la résistance des Français, épuisées à coup sûr par les journées d’attaque. Les Stosstruppen ont été tuées les premières et les fusiliers qui les suivent n’ont pas leur valeur offensive. Des récits allemands évoquent les colonnes d’ambulances remplies de blessés qui gagnent l’arrière. Les artilleurs commencent à ménager leurs munitions en raison de l’infernale consommation d’obus de ces quatre journées. L’état-major reçoit des rapports alarmants sur le moral des unités ordinaires de la VII e armée. Mais les renforts finissent par arriver, et l’offensive repart.
    Les Français semblent faire corps avec le sol rocailleux. Sans ordre apparent, éparpillés en unités disparates, ils tiennent. Les poilus n’ont jamais connu de conditions de survie aussi difficiles. Les sources sont taries par les bombardements. Pas d’eau. On suce de la glace, on fait fondre la neige. Dans les boyaux, l’odeur des cadavres est atroce. Impossible d’enterrer les corps, même des camarades. Le sol est gelé, il résiste aux coups de pioche. Les fantassins des unités de renfort, déjà accablés par le feu, passent leur deuxième nuit au front les pieds dans la boue, sans pouvoir dormir. Pour changer de chaussettes, on ouvre les musettes des morts. Les blessés sont évacués

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