Les Poilus (La France sacrifiée)
glaces et des bonbons de chocolat. Les Allemands, en raison du blocus, ont dû se montrer beaucoup plus rigoureux. Mais les plaintes contre les insuffisances de l’intendance viennent aussi de l’armée. Les tenants de la guerre jusqu’à la victoire, très majoritaires dans le pays, au Parlement et même dans la presse, attendent du pouvoir civil qui a pris la responsabilité des opérations une action plus énergique : en termes militaires, une offensive.
*
Nivelle en est chargé. Il est alors présenté comme le vainqueur de Verdun, son nom est constamment associé dans la presse à la reprise de Douaumont. Il passe pour posséder la recette de la guerre moderne, la synchronisation des armes et l’emploi de spécialistes de l’attaque. Il peut relancer avantageusement la guerre, étant le portrait-robot, parfaitement inconnu des Français, de Foch le fonceur et de Pétain l’économe.
Après Joffre l’immobile, voici l’oiseau rare, paré de toutes les vertus. Né à Tulle, fils d’un capitaine au 40 e de ligne, il est l’époux d’une Anglaise et entretiendra de bons rapports avec les officiers britanniques, contrairement à Pétain. Colonel d’artillerie héroïque en Alsace, promu brigadier en octobre après sa conduite à la Marne, chef de division en 1915 sur la Somme, puis commandant en mai 1916 de l’armée de Verdun, il a pour maître mot « l’esprit offensif », encore appelé « esprit nouveau ». Seule la victoire, annoncée à Verdun par Poincaré comme la seule issue possible de la guerre, pouvait enrayer la crise du moral, qui faisait pendant l’été des ravages sur le front de Verdun.
Avec Mangin, Nivelle pouvait se flatter de l’avoir emporté. Joffre et Pétain lui avaient enfin donné les moyens de frapper à coup sûr des lignes ennemies affaiblies par la bataille sur la Somme. Depuis lors, il ne cessait de développer le concept de la « guerre moderne » devant les parlementaires et aux ministres en visite à son PC de Souilly. Clemenceau, président de la commission sénatoriale de l’Armée et non suspect de tendresse pour les généraux du front, avait découvert des techniques nouvelles d’attaque, rationalisées par un commandement soucieux d’efficacité. On exhibait les obusiers de 400 sur chemin de fer, les lourdes pièces de 280, les pistes empierrées pour les assauts, les abris bétonnés pour les mitrailleuses. Les poilus seraient-ils désormais traités comme des Feldgrau ?
La victoire appartenait aux spécialistes. Oublié le fantassin en pantalon rouge. « L’esprit nouveau » consistait à marcher, courir, bondir, se tapir par petits groupes, mais surtout à dégoupiller les grenades, à mettre en batterie les mitrailleuses portables, à ne plus considérer les artilleurs comme des planqués et les aviateurs comme des fanfarons.
L’armée avait changé. À l’exemple des Allemands, on comptait trois compagnies au lieu de quatre par bataillon, trois bataillons par régiment, trois régiments par division.
Mais l’infanterie était mieux armée : les fusiliers étaient des spécialistes des armes automatiques, de plus en plus nombreuses. Les mitrailleuses Hotchkiss, plus sûres que les Saint-Étienne, étaient attribuées à raison de huit pièces par bataillon au début de 1917, contre douze dans les unités allemandes, qui pouvaient être encore renforcées par deux cents détachements de mitrailleurs d’élite à six pièces chacun, en période d’offensive. Le tac-tac de la mitrailleuse devenait plus que jamais la hantise du poilu. La densité du tir était telle qu’il ne pouvait y échapper. La survie devenait une loterie.
Les artilleurs de tranchée ne disposaient en 1916 que du Crapouillot, contre le redoutable Minenwerfer allemand (48 pièces par division). En 1917, ils recevaient de bons mortiers Stokes, Brandt ou Jouhandeau-Deslandres, puis des petits canons de 37 capables de tirer jusqu’à 1 200 mètres. Avec les grenades, ces armes étaient devenues fondamentales dans le combat d’infanterie. On entraînait les servants à faire avancer leurs engins dans les attaques, à les mettre immédiatement en batterie, dans les camps d’instruction constamment agrandis et multipliés, à destination des armes spéciales.
De 1914 à 1916, les Allemands avaient créé cent divisions nouvelles grâce aux ressources de leur recrutement : chaque classe alignait 450 000 hommes et l’on pouvait ratisser 120 000 ajournés dans
Weitere Kostenlose Bücher