Les Poilus (La France sacrifiée)
les dépôts. Pour les deux fronts, le commandement disposait ainsi de 219 divisions en janvier 1917 contre 105 (renforcées de 70 britanniques et de 6 belges) au commandement de Nivelle. Chaque division était forte de 9 batteries de 77 et de 3 de 105. Le programme Hindenburg de mise en fabrication mensuelle de 14 000 mitrailleuses et 2 000 canons permettrait d’organiser une réserve d’artillerie disponible et mobilisable pour parer aux attaques massives en expédiant aussitôt par voie ferrée les batteries, à partir de Metz ou de Bruxelles, profitant de la capillarité d’un réseau bien organisé.
Le programme français, arrêté seulement le 30 mai 1916, était en retard, mais expédiait déjà au front les 155 courts, trapus et agressifs comme des dogues, qui avaient permis de reprendre Douaumont. Nivelle l’artilleur avait mis au point un commandement de l’artillerie divisionnaire qui permettait d’accélérer la mise en place des unités de renfort. Plus de trente mille spécialistes avaient pris en charge le nouveau matériel de traction des camions porteurs de 75 et des lourds engins de l’ALT (artillerie lourde tractée) qui alignait déjà cent quatre-vingts batteries de 155.
Pourquoi ne pas construire des chars sur le modèles des tracteurs américains expérimentés par Estienne ? Les Anglais avaient déjà engagé sans résultat la première division blindée de l’Histoire : des tanks Mark I sur la Somme, près de Cambrai, en 1916. Les Français conçurent au Creusot le char Schneider, puis le Saint-Chamond. Ces lourds engins pourraient-ils ouvrir la route à l’infanterie ? Estienne lui-même en doutait, après les premières expériences. Aussi persuada-t-il Joffre de mettre de préférence en fabrication le petit Renault FT en novembre 1916, qui n’interviendrait dans les lignes qu’en mai 1918. Il n’était pas disponible pour Nivelle. Mais celui-ci comptait sur des tracteurs lourds montés sur caterpillars pour faire gravir aux 155 les pentes de l’offensive.
L’artillerie antiaérienne s’entraînait contre les avions ennemis, de plus en plus nombreux et offensifs. Les fantassins ne se contentaient pas d’assister aux duels aériens des « as des as », comme à des démonstrations de champs d’aviation. Ils comptaient désormais sur les avions pour les assister dans l’assaut. Les artilleurs étaient les plus exigeants. Les chasseurs devaient détruire les redoutables Drachen, qui renseignaient les pièces allemandes, et abattre les appareils ennemis. Longtemps inférieure en nombre, en armement et en vitesse, l’aviation française progressait rapidement en 1916 : 2 700 pilotes étaient formés cette année-là pour protéger les soixante compagnies d’aérostiers qui, dans l’incendie de leurs saucisses, ne pouvaient compter que sur leurs parachutes.
Un programme de 2 600 avions avait été mis en chantier pour le 1 er mars 1918 afin d’affronter à armes égales les 48 escadrilles de reconnaissance, les 96 d’observation d’artillerie réparties par division, les 30 de chasse, les 30 de protection, les 3 escadres de bombardement de l’armée adverse : une aviation redoutable, aux ordres du général von Hoeppner. Mais les nouveaux chasseurs Spad faisaient bonne figure, à 180 km/h, contre les Albatros. Sur la Somme, ils avaient mis en échec la chasse allemande. Nivelle comptait sur ses escadrilles équipées de postes de radio et d’appareils photographiques à plaques pour appuyer l’offensive de l’artillerie, qui devait « conquérir le terrain ».
Avec lui triomphaient les jeunes-turcs de l’état-major, modernistes et partisans de l’offensive sans pertes. Le plan miraculeux dont il avait la charge avait été pour la première fois tracé par Joffre, qui n’avait pas renoncé à prendre sa revanche, avec la coopération totale de l’armée britannique, dûment négociée par des conversations approfondies d’états-majors.
La loi sur le service militaire obligatoire avait été votée au Parlement de Londres en juin 1916 seulement. On ne pouvait donc compter sur des renforts massifs dans l’immédiat. Mais l’apport de cinquante-neuf divisions n’était pas négligeable et les Français n’avaient plus assez d’effectifs de réserve pour partir seuls à l’attaque. Force était de négocier l’appui des Alliés, rendu difficile à la suite de l’échec commun sur la Somme. Mais Lloyd George croyait en l’étoile de
Weitere Kostenlose Bücher