Les Poilus (La France sacrifiée)
Nivelle et prêtait volontiers l’oreille à son discours, quand il prétendait en finir une fois pour toutes avec la guerre. Haig, hésitant, avait été contraint de se soumettre. Les poilus ne pouvaient se douter que la négociation interalliée portait sur les modalités d’une nouvelle offensive, et non sur la recherche de la paix.
Nivelle avait donc repris le plan Joffre d’une double attaque française et britannique, mais il en avait inversé les termes : l’offensive principale serait celle des Français sur l’Aisne, et non des Anglais entre Vimy et Bapaume. Le but était de percer sur Laon, en prenant le Chemin des Dames. Trois armées, Mangin en tête de la 6 e , Mazel de la 5 e et Micheler de la 10 e , en seraient chargées. Tout reposait sur la surprise, et la rapidité d’exécution. Le général en chef avait fait accepter les grandes lignes de ce plan à la fois par Briand et par Lloyd George. Il ne restait plus qu’à l’exécuter.
Nivelle devait sa nomination à un changement de politique imposé par le Parlement, et au renvoi de Joffre. Elle avait été accueillie avec plus de soulagement que d’enthousiasme : on croyait, au Palais-Bourbon, en avoir fini avec la « tyrannie » de l’état-major. Nivelle disposait donc, au départ, d’un pouvoir amoindri. Il devrait constamment rendre compte, et se garder de ses protecteurs. Il était bien entendu que les généraux commandants d’armée seraient nommés, sur sa proposition, par Lyautey, son ministre. Finie la belle époque des généraux. Joffre est en sursis, on cherche un placard pour Foch, et Castelnau est désormais mal vu. Quant à Pétain et Fayolle, on les traite de temporisateurs. Docile et bien intentionné, Nivelle abandonne symboliquement Chantilly pour s’installer à Beauvais. Il n’a pas l’intention, assure-t-il à la cantonade, de se retrancher dans son état-major.
Mais il rencontre bientôt l’opposition du milieu politique qui l’a placé au sommet. Pour son offensive, il avait besoin d’hommes. On les lui refusait. Briand ne voulait pas entendre parler d’un retrait de troupes sur le front de Salonique. À partir de janvier, le président du Conseil était harcelé au Parlement et en Comité secret. Le milieu politique critiquait déjà, avant d’en connaître les lignes, le projet Nivelle. La loi sur les exemptés et les réformés ne passait pas, traînait en longueur. Les députés refusaient de laisser embrigader les pères de quatre enfants et les veufs pères de trois enfants. Un radical osait exiger que fussent renvoyés dans leurs foyers les soldats de 48 et 49 ans. Quelle audace ! Lyautey tempêtait contre une mesure qui aurait d’un coup privé l’armée de 95 000 hommes. Il refusait sèchement de démobiliser, comme le demandait un autre radical, 140 000 soldats des classes 1890 et 1891. Il n’avait pas à faire le lit du minoritaire Brizon.
Nivelle pourrait-il jamais donner l’ordre d’attaque ? Briand, qui aurait dû le soutenir, était lui-même critiqué. Les Clemenceau, les Ribot, les Painlevé, les Maginot menaient la danse. On considérait en mars son ministère comme moribond. Lyautey, faute d’avoir prise sur les bureaux de Beauvais, pestait Rue Saint-Dominique. Selon Wladimir d’Ormesson, il finissait par démissionner, pour ne pas cautionner une offensive mal préparée, dont il n’attendait qu’un nouvel échec, ce qui entraînait la chute du cabinet Briand. Pétain, qu’il avait consulté à son QG de Chaumont sans en avertir Nivelle, lui avait fait partager son pessimisme.
Le général en chef n’avait plus de président du Conseil, ni de ministre, à un mois de l’heure H, alors que les trains déversaient leurs troupes sur la rive de l’Aisne. Les soldats en étaient-ils émus ? « Briand est tombé, écrivait le hussard Honoré Coudray, infatigable lecteur de journaux. Oh ! Pas de haut ! Ribot a été désigné […] pour des sinécures de ce genre, les candidats sont nombreux. » Il trouve bouffon que l’on ait mis « un civil à la guerre ».
Alexandre Ribot, ignoré presque de la troupe, investi le 20 mars, rassurait l’état-major en faisant une déclaration poincariste sur les buts de guerre de la France (restitution de l’Alsace-Lorraine, garanties de sécurité et réparations) en assumant le projet Nivelle : « Lorsque le gouvernement, disait-il à la Chambre, a choisi le chef qui doit conduire nos troupes à la victoire, il lui
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