Les Poilus (La France sacrifiée)
mot paix. Les journaux l’imprimaient, les soldats le lisaient. Ont-ils cru à la possibilité de négociations ? « Il y a un peu de vérité là, dit Coudray, mais pour qui connaît la race teutonne, c’est un avertissement avant de mieux frapper. La paix, on ne la sent pas. L’odeur du charnier prime encore ! » Au 221 e régiment, on est d’abord plus confiant. Ce Noël au front sera peut-être le dernier, car les États-Unis et la Suisse se mettent à nous inviter à cesser les hostilités. Faut-il y croire ? « Les Boches proposent de quitter la France et de rendre la Belgique en échange de leurs colonies. Pourquoi n’accepterions-nous pas ? C’est ici ce qu’on se demande. » Et le soldat René de commenter, le 13 janvier 1917 : « Avec la réponse idiote faite aujourd’hui aux États-Unis, on voit que ce n’est pas encore cette année que la guerre finira. »
De fait, les gouvernements belligérants sont bientôt bloqués par la formulation de buts de guerre ambitieux, rédigés à la suite de négociations entre Alliés, ou sous la pression de groupes dominants. Celui de septembre 1914 du chancelier Bethmann-Hollweg était aussi provocateur que la revendication française exprimée par le gouvernement Briand au début de 1917 sur la Rhénanie, à l’occasion de négociations avec le tsar, qui convoitait les Détroits.
Le chancelier avait été conforté par le « manifeste des grandes associations allemandes » du 10 mars 1915 et par la « pétition des professeurs, diplomates et hauts fonctionnaires » du 20 juin, affirmant des revendications sur la Belgique, le littoral français du Pas-de-Calais, la ligne de la Meuse et le bassin de Briey. Dans un mémoire secret rédigé en janvier 1916, le gouverneur général allemand en Belgique von Bissing affirmait que l’État belge devait disparaître. Le grand quartier général allemand faisait imprimer à Munich les résultats d’une enquête menée par des spécialistes dans plus de quatre mille entreprises qui devaient être détruites en France occupée.
La libération de la Belgique, de l’Alsace et de la Lorraine était le but de guerre essentiel des Alliés, même si Briand, à la fin de 1916, avait laissé se développer dans la presse française une campagne pour l’annexion de la Sarre et de la rive gauche du Rhin. Pour arrimer plus solidement la Russie défaillante à l’alliance, le gouvernement français, longtemps hésitant, avait consenti le 11 mars 1917, en échange de l’appui du tsar dans les revendications rhénanes de la France, à lui donner « toute liberté de fixer à son gré ses frontières occidentales », ce qui portait un coup fatal à l’indépendance de la Pologne et ouvrait la route de Constantinople. Cet accord n’avait pas été communiqué à Londres, où il ne pouvait être reçu. Mais les Anglais avaient accepté le traité signé à Londres avec l’Italie, qui garantissait ses ambitions sur l’Adriatique. Les buts de guerre, de part et d’autre, avaient exprimé assez de convoitises au nom de la « sécurité » des États pour que des butoirs solides empêchent toute négociation. Aussi les belligérants ne pouvaient-ils recevoir le message prononcé par Wilson devant le Sénat des États-Unis, le 22 janvier 1917 : « Il faut que nous arrivions à une paix sans victoire. »
Deux revendications pour la paix s’étaient exprimées en 1916 : celle du président Wilson, mais aussi celle des socialistes internationalistes du groupe des « zimmerwaldiens », ainsi appelés parce qu’ils s’étaient réunis en mai 1915 à Zimmerwald, près de Berne, pour « exiger la paix sans annexions ni indemnités de guerre ». Parmi les délégués, deux Allemands, Hoffmann et Lebedour, et deux Français, Merrheim, de la fédération CGT des métaux, et Bourderon.
Réfugié en Suisse, Lénine avait trouvé ce manifeste insuffisant et participé à une seconde conférence, en avril 1916 à Kienthal, en pleine bataille de Verdun. Trois députés socialistes français y étaient présents sans être mandatés. Le manifeste demandait aux élus socialistes de refuser toute participation gouvernementale, de ne pas voter les crédits de guerre et de recourir à l’action directe : « Par tous les moyens en votre pouvoir, amenez la fin de la boucherie mondiale ! » L’appel à la révolution, selon le vœu de Lénine, était lancé par la commission de Berne dans une circulaire du 18
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