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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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aux troupes de choc. Ils marchent des journées entières vers l’ouest, intégrés d’abord à l’armée de Verdun. Ils entendent au loin le canon, sans savoir où on les dirige. « Tout le monde est absolument découragé, dit un poilu, parce qu’on ne voit aucun résultat et qu’il n’y en aura pas. »
    Des accrochages cependant sur le front de Verdun autour du 15 mars, des morts et des blessés par centaines. La bataille n’arrive pas à s’éteindre sur ce triangle maudit. Le régiment est relevé, il vient d’éprouver des pertes sévères dans une attaque locale, par le bombardement d’artillerie. « Le dégel a fait une boue dans laquelle beaucoup de pauvres diables ont disparu », dit le brancardier René, musicien affecté au service de santé.
    Le 26 mars, il apprend qu’une action est en cours autour de Soissons, sans en connaître le détail. Le régiment marche toujours sous la neige, sac au dos, cueillant des pissenlits gelés aux étapes. On apprend le 4 avril l’entrée en guerre de l’Amérique. Commentaire des poilus : « La guerre en sera prolongée […] Les Français se seront battus sans jamais savoir pourquoi et pour que d’autres en profitent. »
    La nuit du 4 avril est calme. Une simple « petite alerte » qui coûte au régiment sept blessés et deux tués. Les nouvelles se précisent, le 11 avril : on se prépare à attaquer du côté de Reims : « Beaucoup disent à nouveau que pour juillet nous poumons voir la fin. » Garde-t-on quelque espoir, du côté de Sainte-Menehould, à voir les convois défiler vers Reims et Soissons ? « À la fin du mois, nous serons fixés », conclut, laconique, le brancardier pessimiste.
    Par le bouche à oreille du front, les nouvelles, toujours en retard, arrivent souvent déformées jusqu’aux poilus, secteur par secteur. Ils apprennent ainsi que les Anglais et les Français ont avancé du côté de Noyon. On assure que les Allemands quittent la France : « S’ils s’en vont seuls, c’est possible [comme à Noyon], sans cela, le doute persiste ici. » Les poilus du 221 e sont très intrigués par le grand nombre de curés et de séminaristes qui se présentent parmi les recrues destinées à servir comme brancardiers : « Beaucoup pensent qu’il faut que la guerre touche à sa fin pour que l’on se soit décidé à mettre en route de pareilles gens. » Louis Masgelier, encore plus anticlérical, s’indigne qu’on affecte les séminaristes au service de santé, au lieu de les verser, comme les autres, dans les compagnies d’assaut.
    Honoré Coudray, à l’armée des Vosges, raconte qu’on a constitué en janvier des « groupes francs, alimentés par des hommes décidés et à poigne ». Ils sont désignés pour les coups de poing dans les lignes « avec tous les moyens approuvés ou désapprouvés ». Des spécialistes des attaques brusquées. On dit que désormais l’armée française aura ses Stosstruppen, ses groupes d’assaut rompus aux techniques modernes et entraînés aux corps à corps. « Ils ne font que des attaques de ce genre, ensuite, on leur fiche la paix. J’aime ça. » La prochaine offensive sera-t-elle confiée à ces volontaires des troupes d’élite, les autres se bornant à tenir les secteurs calmes ?
    Pourtant Pétain prend position contre la spécialisation. Il admet qu’on utilise des grenadiers d’élite pour les coups de main, que l’on remette l’« insigne d’or » aux « grenadiers-lanceurs de premier plan » au cours de « petites fêtes ». Il est utile d’« exploiter à fond la vigueur, l’adresse et l’audace des grenadiers les plus doués ». Mais le fantassin français « n’a pas besoin de détachements d’entraîneurs pour donner l’assaut ». Il n’est pas question, jure-t-il, de créer dans l’armée des troupes d’élite formées, à l’allemande, dans des écoles spécialisées. Les chances de chacun doivent être égales devant la mort.
    L’hiver de 1916-1917 est exceptionnellement froid. Il n’est pas rare que le thermomètre descende à -25°C. Pour économiser les camions, tous les déplacements de corps se font à pied par ce climat et l’ensemble du front est concerné par les changements de secteurs. Les poilus s’étaient arrangés pour hiverner dans leurs coins savamment protégés contre la froidure. Voilà qu’on les expose à la glace et au vent sous prétexte de leur « redonner des jambes ». Ils parcourent

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