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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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monts de Champagne ? L’artillerie lourde s’était déchaînée, mais ses tirs manquaient d’efficacité en raison de l’insuffisance du repérage par avions et ballons. L’incertitude était plus grande encore sur le front de la VI e armée qui ne disposait guère d’observatoires, étant tapie dans les fonds de la vallée de l’Aisne. Les artilleurs de la V e armée étaient mieux lotis, puisque les positions avancées étaient creusées sur le plateau, mais la brume, le vent, les giboulées de neige, les nuages très bas avaient beaucoup gêné les aviateurs. 54 avions s’étaient abîmés dans les lignes par accident, et 37 au cours d’engagements aériens.
    Où étaient tombés les cinq millions d’obus de 75 et le million et demi de projectiles lourds tirés par l’artillerie ? Nul ne pouvait le dire, sauf, naturellement, les Allemands qui avaient éprouvé des pertes sévères, surtout parmi les unités qui montaient en ligne, accablées par le tir des pièces lourdes. Dans la correspondance des artilleurs allemands, on trouve des notations précises : le Bavarois Albert Reichel écrit : « Aujourd’hui c’est le quatrième jour [11 avril] que notre secteur est bombardé sans trêve. » Il a trouvé refuge dans un abri bétonné dont la carapace de 30 cm résiste aux obus lourds. Mais les servants de la batterie sont « ahuris, le crâne ébranlé ». Quant à l’infanterie, une seule bombe défonçant un abri-caverne a tué dix hommes, sans compter les blessés ». L’artilleur est stupéfait que les batteries allemandes ne répliquent pas.
    Mais cela ne signifiait rien : elles se réservaient sans doute pour l’attaque. Le 15 avril, à la veille de l’heure H, des tirs de tous calibres avaient accablé les premières lignes, tuant les hommes des compagnies d’assaut. Les observateurs d’artillerie estimaient qu’une pièce allemande sur deux seulement avait été inquiétée et repérée. Ils étaient optimistes. On devait plus tard apprendre que tout au plus 53 batteries avaient été débusquées, sur un total énorme de 392. On ignorait aussi que les Allemands avaient quadruplé leur aviation, ce qui expliquait leur supériorité sur le terrain. Enfin, ils disposaient d’un renfort possible de 15 divisions reposées, ramenées d’Orient, après la prise de Bucarest. Dans ces conditions, l’attaque « en quatre bonds », l’action violente, brutale et rapide qu’exigeait Nivelle, risquait d’être, au départ, gravement compromise.
    *
    Il faut croire que les officiers avaient réussi à maintenir le moral de leurs troupes, puisqu’un témoignage d’un maréchal des logis du 12 e hussards de Gray, en avant de la 15 e division d’infanterie coloniale, observe avec confiance les lignes ennemies, précisément entre la sucrerie de Troyon et le poteau d’Aillés [71] . « Chacun est de bonne humeur. Le régiment doit enlever le plateau, descendre dans la vallée de l’Ailette […] atteindre Martigny où la 38 e division nous dépassera. Avant midi, nous aurons atteint nos objectifs. Le colonel Maroix a prescrit aux musiciens d’emporter leurs instruments : ils joueront La Marseillaise en arrivant à Martigny. »
    D’autres lettres [72] témoignent du même optimisme. « La première journée de l’attaque, nous allons avancer de cinq à six kilomètres, la deuxième de douze kilomètres ; après, ce sera la poursuite des Boches éperdus. » Le jeune poilu cite les paroles de son capitaine. Il ne peut pas savoir qu’au cours des offensives précédentes, les troupes de choc n’ont jamais avancé de plus de quatre kilomètres.
    La plupart de ses camarades se plaignent de la longue attente. « Nous avons eu huit morts dans la grange à cause du froid, dit l’un d’eux. Vivement la grande offensive que tout soit fini ! Y en a marre ! » Ou encore : « C’est honteux de faire souffrir les hommes comme ça. » Un soldat reste tout de même sceptique : « Les meilleurs corps de France sont là. Irons-nous le soir même de l’attaque souper chez les Boches ? Je l’espère, ou alors il faudra arrêter coûte que coûte ce fléau. »
    Ce poilu semble donner raison à Nivelle, qui a promis au gouvernement et aux Anglais d’arrêter son offensive quarante-huit heures après, si elle n’avait pas abouti. L’accumulation des unités et des pièces d’artillerie remonte le moral à l’approche de la bataille. « Nous allons attaquer. Le

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