Les Poilus (La France sacrifiée)
hommes échouaient ?
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Le commandant Bossut lance ses équipages à partir des bois de Beaumarais, dans la plaine au sud de Craonne : 128 chars lourds dont c’est la première action massive sur le front français. Les avions allemands maîtres du ciel signalent aussitôt leur lourde avance, à 5 km/h. L’artillerie se réveille et tonne. Les obus calorigènes mettent le feu aux réservoirs.
Les premiers Schneider ont trébuché devant la première tranchée, trop large pour être franchie : ces 48 mastodontes restés en panne sont une cible de choix pour les pièces lourdes qui les accablent. Les chasseurs d’élite se précipitent sous le feu, chargés de fascines, pour faciliter le passage des autres. Les chars sont pris à partie tout le long de leur avance, titubant vers les positions allemandes. Ils brûlent et sautent sous les obus lourds, mais progressent cependant, vaille que vaille, vers la troisième ligne. Les fantassins, hachés par les tirs de mitrailleuses, ne peuvent les suivre.
Le commandant Bossut trouve la mort dans l’incendie de son char. Les cinquante autres poursuivent leur avance, mais sont bientôt anéantis par les obus. « Beaucoup de chars, en dehors de ceux qui ont brûlé, sont en panne à la deuxième position allemande », explique le capitaine Chanoine. Des 128 chars engagés, 47 seulement peuvent rentrer indemnes. Ludendorff en conclut aussitôt qu’il est inutile de mettre en fabrication des engins aussi inefficaces, dont l’artillerie a eu facilement raison, à Reims comme à Cambrai. Le général Estienne, au contraire, pousse la mise au point des chars légers, plus mobiles. La leçon du Chemin des Dames n’a pas été perdue : les Schneider et les Saint-Chamond sont condamnés.
Mais la route de Laon n’est pas ouverte. Les troupes sont toujours à l’assaut du Chemin des Dames : à la VI e armée Mangin, Marchand, le héros de Fachoda, lance les braves de sa 10 e division coloniale. On compte sur eux pour une attaque miraculeuse, décisive. Le 33 e régiment d’Arras doit soutenir, avec les fantassins de Montélimar et de Perpignan, l’assaut conduit en première ligne par trois bataillons de Sénégalais, sur le goulot d’Heurtebise. On a même prévu les lance-flammes des compagnies Shit pour attaquer les creutes.
Les Noirs partent à l’attaque, des gelures aux mains, avec des Lebel du modèle 1907 et seulement deux fusils mitrailleurs. Ni grenades, ni fusées de signalement. Ils font irruption dans la tranchée de Spandau et sautent dans un tunnel où cent cinquante soldats de la Garde allemande sont tués. « Avec quelques Sénégalais, écrit un poilu, nous avons surpris quelques Boches au fond de leur abri. Ils faisaient chauffer leur jus. Les Sénégalais leur ont fait coupe-coupe et nous avons bu le café. » Ce massacre est raconté avec complaisance par le témoin.
Les troupes avancent difficilement sur le terrain gluant, dans les rafales de mitrailleuses. Elles ne peuvent soutenir le rythme de cent mètres en trois minutes imposé par le commandement. De la sorte, le barrage d’artillerie progresse trop vite. Les Allemands ont le temps de sortir de leurs trous et de mettre en batterie leurs mitrailleuses qui prennent de plein fouet les vagues d’assaut. L’avance s’éparpille, les groupes de fantassins se protègent comme ils peuvent, profitant du moindre repli de terrain. Ils sont débordés par la seconde vague qui les dépasse et qu’ils suivent en désordre. Les unités sont ainsi mélangées, sans commandement efficace. Dans les bataillons sénégalais, les officiers ont été tués les premiers.
Des mitrailleuses installées sur des éperons accablent les assaillants, les forcent à refluer. À midi, les coloniaux n’ont toujours pas approché de leur objectif et les pertes sont lourdes. Du Trou d’Enfer, de la caverne du Dragon sortaient des hommes armés de mitrailleuses portables. Cette creute était mal connue des Français. Ils ignoraient sans doute qu’elle permettait de traverser de part en part, par souterrain, le goulot d’Heurtebise, de sorte que les mitrailleuses tiraient dans le dos des Français qui croyaient l’avoir neutralisée. Des renforts allemands surgissaient par petits paquets, puissamment armés, sans qu’on puisse les empêcher de déboucher.
Le colonel Querette était blessé et prisonnier. Ses Sénégalais, perdus, tremblant de froid et de peur, étaient abattus par les rafales de
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