Les Poilus (La France sacrifiée)
était confiée à un homme docile, Walther von Brauchitsch, quatorze généraux étaient mis à la retraite, quarante mutés. La purge, moins importante, était pourtant comparable à celle de l’Armée rouge par Staline. Les généraux prussiens avaient la chance d’échapper au goulag, mais pas toujours au déshonneur. La Gestapo avait monté aux généraux Blomberg et Fritsch des procès accablants et louches. Désormais les officiers maintenus ou promus se le tiendraient pour dit : ils prêteraient serment de fidélité à Hitler. Ils n’auraient plus seulement Dieu pour maître.
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Quant aux SA, les plus jeunes, selon leurs aptitudes, seraient affectés aux chantiers des autoroutes ou incorporés dans la nouvelle Wehrmacht qui obtiendrait très vite l’égalité des droits. La production de guerre pourrait être planifiée, à la satisfaction des dirigeants des industries, sous l’œil vigilant de Göring. L’influence dominante du Führer serait renforcée sur l’état-major — et sur la diplomatie — à chaque étape heureuse de la politique du bluff : réoccupation de la Rhénanie, Anschluss, coup de Prague.
Si heureuse que personne ne s’étonne quand tombe la nouvelle de la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France à l’Allemagne, alors que Hitler a déjà envahi la Pologne. On cherche encore, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’Italie, à reculer l’échéance. Quand il est clair qu’il ne bluffe plus, puisque ses unités ont franchi la frontière polonaise, l’Occident recourt à la légalité par une déclaration formelle d’entrée en guerre, selon les rites de la diplomatie de 1914, comme si Hitler était Guillaume II. Une initiative des Alliés que le dictateur utilisera dans sa propagande : ne peut-il pas se prétendre agressé par les puissances de l’Ouest, alors qu’il essaie seulement de rétablir une injustice dont souffrent depuis 1919 les Allemands de Dantzig? À Paris et à Londres, on a assez reproché à Chamberlain et Daladier d’avoir traité sous la menace à Munich en 1938 pour ne pas approuver une entrée en guerre qui fait suite à une situation nouvelle : cette fois la Wehrmacht a reçu le signal de départ pour le 1 er septembre 1939, à 4 h 45 du matin, sans autre forme de procès.
Les Polonais sont déjà aux prises avec les blindés allemands quand les Alliés discutent encore. Daladier est fort déçu de n’avoir pas reçu de réponse positive de Hitler à qui il avait écrit, le 26 août, une lettre émouvante : « Vous avez été, comme moi-même, un combattant de la dernière guerre. Si le sang français et le sang allemand coulent de nouveau, comme il y a vingt-cinq ans […] la victoire la plus certaine sera celle de la destruction et de la barbarie. » Le président français feint de considérer le F ü hrer comme un dirigeant ordinaire. Il le croit accessible aux sentiments humains, évoque la guerre qui s’engage comme la suite insensée de la précédente. Dantzig est la réédition de Sarajevo. Son ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet, apaiseur impénitent, sautait sur une proposition de Mussolini prétendant tenter de retarder l’entrée en guerre. Quand elle est déclarée le 3 septembre à dix-sept heures par la France, c’est six heures après la Grande-Bretagne.
Ces tergiversations françaises montrent bien que ni la Grande-Bretagne ni la France ne recherchaient la guerre, qu’elles avaient au contraire tenté de l’éviter, précisément parce qu’elle était, pour l’opinion publique des deux pays, la poursuite de la Première Guerre et que l’on en redoutait les effets dramatiques. La France était tétanisée. La mobilisation hâtivement menée déployait sur les boulevards une gaieté factice qui dissimulait une angoisse profonde : on retournait au casse-pipe sans aucune confiance. « Il y a seulement vingt ans que le carnage a pris fin, note Duroselle [7] . Des centaines de milliers de survivants en portent les stigmates. Des millions en rêvent parfois avec horreur. Des millions d’hommes et de femmes songent à leurs disparus. » Si l’on part « pour en finir une fois pour toutes », c’est avec le sentiment d’avoir à terminer un travail non achevé en 1919. Un des premiers sondages de Stoetzel le montre : « Si l’Allemagne tentait de s’emparer de la ville libre de Dantzig, devrions-nous l’en empêcher au besoin par la force ? »
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