Les Poilus (La France sacrifiée)
l’absence d’une aide massive des Français, au soir du 24 mars ?
Dans Paris bombardée chaque jour par la Bertha [103] , le gouvernement Clemenceau s’inquiétait de la double avance allemande sur Noyon et Paris, de la rupture des deux armées britannique et française. Le 25 mars, Ludendorff était en mesure de forcer la victoire, et de réduire à néant quatre ans de résistance française. Si les Alliés perdaient Amiens, ils n’avaient plus de liaison ferroviaire. Les Allemands pourraient liquider sans risques l’armée anglaise déjà accablée. Dès le 24 mars, à quatorze heures, le quartier-maître général avait annoncé à Berlin la victoire par radio, présentant la rupture du front allié comme définitive.
Le 25 mars, les Allemands sont à Noyon. La brèche s’agrandit jusqu’à vingt kilomètres. Pétain, soutenu par Franchet d’Esperey, persiste à refuser de dégager ses armées de Champagne. Il accepte seulement d’expédier sur Amiens l’excellente I re armée française de Debeney, qui vient de l’Est, à plusieurs jours du front.
Clemenceau et lord Milner décident alors de se rencontrer le 26 mars à Doullens. Ils chargent Foch de « coordonner l’action des armées alliées sur le front ouest ». Le principe du commandement unique est posé. Pétain devra s’incliner. « Lorsque l’ennemi veut ouvrir un trou, dit Foch, on ne l’élargit pas, on le ferme. » Il impose sa volonté de défendre Amiens, et de restaurer l’unité du front, pendant que Luden-dorff commet l’erreur, se sentant sûr de la victoire, de combattre en éventail les deux lièvres à la fois, et de lancer von Hutier exclusivement sur les Français.
Dans la nuit du 25 au 26 mars, Pétain donne enfin des ordres pour diligenter les divisions de réserve de Champagne, toutes proches. On s’arrange pour que l’artillerie divisionnaire parte la première, afin d’assurer la protection des troupes dès leur débarquement. Il faut sauver les 10 e , 22 e et 62 e divisions françaises exténuées.
Les renforts d’artillerie et d’aviation ont rendu possible le miracle. Fayolle a reçu 1 344 pièces et 700 avions d’assaut. Le groupe de chasse Ménard a reçu l’ordre de s’installer au sud de Compiègne, sur l’aérodrome de Plessis-Belleville. Les escadrilles de Féquant abandonnent enfin la Champagne pour atterrir sur le terrain de Beauvais. Une troisième formation attaque les concentrations allemandes dans les gares de Hirson et de Busigny.
« Cramponnez-vous sur le terrain, lance Pétain aux fantassins, les camarades arrivent ! »
La balance des forces tourne au profit des Français, pendant que les Anglais s’accrochent au terrain au nord de la Somme. Les trains crachent la fumée pour amener à pied d’œuvre les divisions de Champagne, de Lorraine et même celles des Vosges. Fayolle fait pousser les pièces de 75 au plus près des lignes. Des automitrailleuses Renault et Peugeot viennent aider les cuirassiers démontés de Boissieu qui se dépensent sur l’Arve, tenant la moindre ruine.
La plus petite rivière de Picardie, la Luce, la Divette, le Matz, sont, comme la Scrape et l’Ancre, un enjeu meurtrier. Elles permettent de se retrancher pour retarder l’avance allemande, irrésistible, sur Amiens. « Il n’y a plus un mètre du sol de France à perdre », dit Foch, et la bataille se poursuit, acharnée, par des contre-attaques de détail, des réactions sauvages, des sauts de puce d’obstacle en obstacle. Triomphe du fantassin, cette fois dirigé au combat par des officiers qui ont abandonné les cagnas de l’arrière pour aller au feu. Ceux qui n’ont pas suivi le mouvement ont été remplacés sur-le-champ.
À quel prix ! La 12 e division du général Penet ne compte plus que cinq bataillons. Les poilus de Compiègne, de Reims, de Soissons se battent presque sur leur sol, aidés par ceux du 106 e de Chalons. Ils sont morts par milliers, comme à Verdun, dans une des plus coûteuses batailles de la guerre. La 133 e division n’a presque plus de combattants. Disparus au combat, les Montluçonnais, les Roannais, les Bretons de Vannes et les Bourguignons de Mâcon. Le général Valentin, pour s’accrocher au terrain, a engagé des petits groupes de soldats anglais en déroute dans ses compagnies squelettiques et disparates.
Mais l’artillerie est arrivée. Le général Humbert a touché à lui seul, sur son front de l’Oise, 204 batteries de 75 et 132 de pièces
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