Les Poilus (La France sacrifiée)
l’Ardre, au sud-ouest de Reims. Le 1 er régiment de marche des tirailleurs algériens avait été anéanti. Ceux de la 10 e division coloniale étaient morts à leur poste, obéissant aux ordres de tenir à tout prix. Dans la mêlée, des groupes de poilus et de chasseurs, français et italiens, se constituaient spontanément.
Les Sénégalais du corps Pellé étaient aussi aux premières loges, ainsi que les poilus de Gouraud, qui devaient abandonner le fort de la Pompelle, mais lançaient sans arrêt des contre-attaques pour épuiser l’ennemi. Les chasseurs polonais devaient combattre aux côtés des tirailleurs marocains et algériens et des poilus français dans la IV e armée qui s’accrochait au terrain, particulièrement la 9 e division de Gamelin, des biffins venus des pays de la Loire qui avaient participé à la seconde bataille de l’Aisne en avril, et s’étaient fait tuer au corps à corps dans les rues de Noyon. Au repos dans l’Est en avril, ces soldats avaient été engagés autour de Tincourt, avec les poilus de la 71 e division, un agrégat de Lyonnais et de gens de l’Est, maintes fois reconstitué, après leur épuisement dans la bataille des Flandres, avec des jeunes de la classe 17, puis de la classe 18.
La 42 e division Rainbow de la National Guard avait pris position à l’est du front de Reims, pendant que la division américaine dite de la Marne (la 3 e ) et la Keystone de Pennsylvanie s’alignaient dans les tranchées devant Château-Thierry. Les poilus avaient de plus en plus l’assurance qu’ils menaient un combat international, qu’ils n’étaient plus seuls sacrifiés sur le front. Des Italiens, des Polonais, des Américains étaient morts devant Reims pour défendre Paris, même si les biffins des quatre armées Gouraud, Berthelot, Mitry et Degoutte avaient fourni l’essentiel de l’effort. La 63 e division de Clermont-Ferrand et Lyon, aux ordres d’Ecochard, n’existait plus. On devrait la reconstituer, le 6 août, avec trois régiments de volontaires polonais [116] . La 43 e d’Épinal et Lyon, engagée successivement sur la Vesle et à Mesnil-les-Hurlus, avait perdu l’essentiel de son effectif.
Les Allemands avaient de nouveau franchi la Marne, et s’étaient avancés jusqu’à Pourcy. Le général Piarron de Mondésir, avec son corps franco-américain, était chargé de les déloger, grâce au soutien d’une artillerie puissante. Les Briards de la 39 e étaient une fois encore de service. Ils avaient livré en avril la bataille des Flandres au nord du mont Kemmel, avec les Britanniques. On avait dû les retirer du front le 6 mai en raison des pertes très élevées. Ils étaient au repos dans la forêt de Villers-Cotterêts et ils avaient reçu le renfort de la jeune classe quand on les avait lancés le 26 mai dans la bataille de Soissons.
Au mois de juin, ces compagnies épuisées avaient été ramenées dans la région parisienne. Leurs cadres entraînaient les unités américaines au combat. Ils tenaient le front au sud de Château-Thierry depuis le 22 juin, juste à temps pour subir de plein fouet l’offensive allemande.
La bonne entente de ces poilus avec les doughboys les avait fait choisir pour combattre ensemble sur la Marne où les obus français précipitaient dans la rivière les groupes avancés sur les passerelles allemandes. La rivière charriait les chevaux morts encore attelés aux voitures, les cadavres de Feldgrau mêlés aux milliers de poissons tués par les explosions dont les ventres blancs affleuraient dans le courant [117] « C’est un enfer que de traverser ces ponts », pouvait-on lire sur un message allemand de pigeon voyageur.
La tactique de Gouraud, application de la doctrine du champ de bataille d’armée, avait réussi. Les poilus avaient abandonné les premières lignes, s’enterrant dans des réduits hérissés de mitrailleuses. Ils avaient laissé le champ libre à l’artillerie qui avait tiré dru sur les Allemands aventurés sur le terrain vide. Gouraud faisait cracher les canons de 75 amenés derrière la seconde position en tir tendu sur les assaillants, « au lapin » disaient les pointeurs. Leur aviation, devenue, en raison des pertes et de la rareté de l’essence, très inférieure à celle des Alliés, n’avait pu empêcher les chasseurs français d’incendier les Drachen et d’abattre les avions d’observation. Le 17 juillet 1918, l’offensive, après deux jours, s’essoufflait déjà. Il
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