Les Poilus (La France sacrifiée)
ont combattu aux côtés des cavaliers français démontés, et la fraternité sur le terrain s’est affirmée, même avec les premières unités américaines de la 3 e division, notamment dans les ruines de Château-Thierry.
Le combattant français a le sentiment de n’être plus seul dans la bataille. Il a désormais la preuve que les Alliés sont là, et mènent le même combat. Les coloniaux de la division Marchand se sont battus au coude à coude avec les unités américaines. Les autocanons britanniques figuraient dans l’attaque de chars de Mangin. Dans les airs, les chasseurs du Royal Flying Corps relayaient les Spads de Ménard. Les poilus goûtaient au tabac blond et les Américains au vin rouge, malgré les consignes de Pershing. Les prisonniers allemands de la Garde les accusaient même d’en avoir abusé, avant l’attaque du bois Belleau.
Quand Ludendorff donne l’ordre d’interrompre la bataille du Matz, le 12 juin 1918, Paris est sauvé. Il ne reste plus qu’à vaincre.
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C’est aussi ce que pense Ludendorff, inquiet du renforcement de l’armée américaine qui débarque 100 000 hommes en France tous les mois depuis la fin de mars. 42 divisions sont déjà constituées et attendent d’entrer en ligne. Certaines ont combattu sur la Marne, les autres tiennent des secteurs dans l’Est.
Une offensive de paix ne serait pas inutile, si elle minait le moral des troupes alliées et alimentait la presse pacifiste française, en partie payée sur fonds allemands. Lord Balfour avait fait savoir que le cabinet « ne fermerait la porte à aucune démarche de paix, formulée sur des bases solides ». Le prince Rupprecht de Bavière avait écrit le 1 er juin à Berlin que le succès de l’offensive ne pouvait être décisif et qu’il était préférable de négocier en position de force. Le colonel von Haeften, délégué permanent de Hindenburg auprès du chancelier, le mettait en garde contre les succès militaires qui ne pouvaient apporter la paix sans « une victoire politique remportée derrière le dos de l’ennemi ».
Le secrétaire d’Etat Kühlmann, soucieux d’assurer à l’Allemagne son espace économique à l’est, saisissait la balle au bond. Il chargeait le prince Hatzfeldt-Wildenburg d’approcher les délégués britanniques lors d’une rencontre internationale pour les échanges de prisonniers de guerre à La Haye. Il offrait une paix de compromis sur la base d’un retour aux frontières de 1914 avec la libération de la Belgique. Kuhlmann déclarait au Reichstag le 24 juin 1918 qu’il ne voulait pas d’une guerre de trente ans qui rainerait l’Europe. Il était temps de traiter.
Hindenburg reprochait aussitôt au secrétaire d’État de miner le moral des soldats à la veille de l’offensive finale. Le 2 juillet, à son quartier général de Spa, il imposait au chancelier Hertling une déclaration fracassante sur la vassalisation de la Belgique, pour couper court à toute négociation. « Notre mariage est rompu », disait alors le Kaiser à Kuhlmann, contraint de démissionner. L’état-major restait le maître du dernier quart d’heure.
Les préparatifs d’un nouveau coup de boutoir se précisaient. Ludendorff voulait porter un coup décisif à l’armée française sur Reims, avant d’anéantir les Britanniques dans les Flandres. On observait, en dépit de la discrétion des Allemands qui masquaient leurs mouvements de troupes, certaines concentrations en face du front de Champagne, tenu par la IV e armée de Gouraud, que Pétain renforçait. Trois divisions américaines étaient chargées de garder la Marne. Les jeunes recrues à peine formées renforçaient les divisions françaises épuisées, comme la 125 e de Pellé, qui avait perdu cinq mille hommes.
Les Français s’impatientaient. L’attaque allemande tardait. Pour prendre les devants, Foch avait prévu une attaque de la X e armée de Mangin entre l’Aisne et l’Ourcq, sur Fère-en-Tardenois, pour résorber la poche allemande. Les poilus n’eurent pas le temps de monter en camions pour l’assaut programmé le 18 juillet. Le 15, Ludendorff lançait sa dernière offensive, avec un feu d’enfer de 1 654 batteries pendant quatre heures, sur le front de Champagne.
Les coloniaux de Pellé et les Italiens du corps d’Albricci [115] devaient être les victimes et les héros de la journée du 16, combattant dans un amalgame complet. Ils se feraient tuer par milliers dans la vallée de
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