Les Poilus (La France sacrifiée)
était temps : sur les premières lignes du front de Champagne, les poilus étaient à bout de résistance.
*
Mais les réserves que Foch avait obstinément maintenues en dehors de la bataille pouvaient donner. Toutes les unités de la X e armée, commandées par Mangin qui a établi son poste d’observation de dix-huit mètres de haut dans la forêt de Villers-Cotterêts, doivent se succéder « par pans successifs, a ordonné Foch, dans un enchaînement d’actions ininterrompues ».
Les troupes ont passé la nuit bien cachées dans les bois, 18 divisions, dont 2 anglaises et 3 américaines. Les poilus de la 48 e , des gens d’Épinal groupés avec le régiment marocain, et le 2 e mixte de tirailleurs et de zouaves ont vu passer la veille un convoi sans fin d’artillerie américaine et débarquer des camions les 345 petits chars Renault. « Ce fut l’étonnement, dit le fantassin Bidali, de voir ces petits engins prendre la route. Pour aller où ? »
Personne ne le sait, mais qui peut trouver le sommeil dans la nuit chaude où les hommes sont allongés sous la tente, sans parler, sans fumer ? Les zouaves ont marché pendant quatre nuits pour gagner la position. Ils ont enlevé, le 15 juillet, une ferme sur le parcours pour y installer un observatoire.
Le tir d’artillerie a commencé à 4 h 35. Les fantassins d’Épinal, épuisés, se sont endormis sur les bords de la route sans dresser leur tente.
« Réveille-toi, dit Mangin à l’un d’eux. Tu ne sais pas ce que tu manques. C’est demain que nous f… les Boches à la porte. »
À la l re division, les soldats du 233 e d’Arras, reformé à Cognac, ont abusé du vin rouge de l’intendance avant d’embarquer [118] . « Les moins soûls font taire les autres en les aidant à se hisser dans le fourgon funéraire. Pour une fois les élèves macchabées ne veulent pas se rendre au cimetière. »
Passe en voiture de tourisme le général Grégoire, chef de la division :
« Que voulez-vous que je fasse de ces ivrognes ? » dit-il au capitaine du bataillon.
Celui-ci hausse les épaules. « Il sait bien que lorsqu’il aura besoin de ses poilus, ils seront dessoûlés. »
Débarqués dans la forêt, ils dressent leur tente vers minuit et sont réveillés par un bombardement. Ils se lèvent et courent pour se cacher, par réflexe.
« Il ne faut pas vous en faire, les gars, leur dit un artilleur, c’est nous qui tirons et je vous assure que les Boches prennent quelque chose. »
À huit heures, ils sortent de la forêt, « le barda sur le cul ». Le centre allemand est déjà enfoncé par les troupes d’assaut. Paul Viet, du 23 e régiment de Bourg, était de cette attaque sur Oulchy-le-Château [119] . Il venait du mont Kemmel et sa section marchait de nuit sur une route, le long du chemin de fer Villers-Cotterêts-La Ferté-Milon. Il prenait bientôt à travers un champ de blé pour gagner le moulin de Neauvine, tout proche de la ligne allemande. Les obus du tir de barrage pleuvaient : sur vingt-six hommes, la section avait vingt et un tués, trois blessés graves qu’il faudrait amputer. Paul Viet venait de perdre d’un coup tous ses camarades. Il rejoignait une autre section, également décimée, pour s’abriter dans les ruines de l’église dévastée d’Ancienville.
À la 48 e division, le fantassin Bidali, engagé dans le premier assaut, voit arriver des Américains. « Des bleus ! », se dit-il. Il se trompe. Les fusiliers qui avancent par bonds sont des Marines rescapés du bois Belleau. Un officier vient à lui et lui demande poliment : « Monsieur, les Boches ? » Bidali fait un geste. Les Marines se précipitent. Aussitôt les Français attaquent, avec les Américains et les chars Renault.
Pourtant la 48 e division est éprouvée. Dans la nuit du 16 au 17, au cœur de la vallée de Savières, un bataillon de tirailleurs s’est empêtré dans les branches brisées des chemins. Le gaz des obus à croix jaune s’infiltre sous les masques des poilus bousculés dans l’action. Un bataillon entier a dû être relevé. Un autre a perdu la moitié de ses effectifs. Les zouaves ont traversé le marécage de Savières avec de la boue jusqu’à mi-corps. Les obus toxiques ont réduit les effectifs du 1 er régiment.
Les survivants ont attaqué derrière un feu roulant, parcourant cent mètres en trois minutes, pour se jeter sur l’ennemi, appuyés par des chars lourds [120] . L’assaut a surpris en
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