Les Poilus (La France sacrifiée)
entonnoir. Deux prisonniers allemands le tirèrent de là. « Le 23 juillet, note-t-il, pour la première fois, je serrais la main à des Allemands. »
Plus au sud, au 23 e régiment de Bourg-en-Bresse, le soldat Paul Viet participait à l’attaque d’Oulchy-le-Château. Les poilus avançaient sans connaître la position des lignes allemandes, le long de la voie ferrée. Le 23 juillet, ils perdaient du monde en raison des tirs de mitrailleuses. La progression était difficile. L’attaque reprenait le 24, puis le 25 juillet, le long d’une falaise dominant la ville. Elle devait être nettoyée rue par rue, à la grenade. Les Allemands étaient cachés dans les caves, et jusque dans l’église. L’un d’eux, un observateur, était capturé dans le clocher. Dans une maison abandonnée, une femme accouchait, aidée seulement par son père, un homme de soixante ans. Sur la place du bourg, les Allemands avaient dû abandonner leurs blessés et leurs morts.
La résistance est encore plus vive à Fère-en-Tardenois. Le franchissement de l’Ourcq est difficile, car les Allemands s’accrochent aux petits bois, aux villages, aux fermes de la vallée. L’adjoint du colonel Colin, de la 62 e division, est témoin de l’agacement de Mangin, qui estime que les poilus ne vont pas assez vite. Il en fait reproche à un commandant :
« Si vous m’en donnez l’ordre, aurait répliqué ce dernier, j’attaquerai de nouveau cette nuit. Seulement j’attaquerai tout seul. Je ne veux pas faire tuer mes hommes pour une mission impossible [122] .»
Le 30 juillet, Fère tombe aux mains des Français, maison par maison, cave par cave. Les poilus s’y cachent, car les Allemands restent à proximité, mitrailleuses braquées au « bois Ovale » et à la « ferme Cayenne ». La ville désertée par ses habitants est fortement bombardée. Les maisons brûlent. Il faut évacuer. Les assauts contre les tranchées allemandes se succèdent, sans résultats. Les Français insistent, et finissent par emporter la position, le 2 août, parce que l’armée allemande du secteur est en retraite.
Ludendorff vient d’abandonner la Marne. Dans l’après-midi du 20 juillet, la 39 e division française avait reçu l’ordre de traverser la rivière sur des ponts fixes en aval de Château-Thierry. Le 21, elle entrait dans la ville abandonnée par l’ennemi qui n’avait pas eu le temps d’y mettre le feu et laissait intact, dans le bois du Barbillon, un dépôt de munitions. La retraite allemande était si rapide que la division française progressait de vingt-quatre kilomètres dans la journée. Les Allemands se retiraient en bon ordre sur la Vesle. La bataille de la Marne était gagnée.
Elle devait se prolonger, le 8 août, par une attaque britannique spectaculaire sur un front de dix-huit kilomètres entre Morlancourt et la route d’Amiens à Roye. Les Australiens, les Néo-Zélandais, les Canadiens attaquaient avec les nouveaux chars Mark V. Ludendorff croyait les Britanniques à bout de souffle. 7 divisions allemandes, bousculées, battaient en retraite. Elles avaient devant elles 14 divisions et 456 chars.
Les Français attaquaient à leur tour : les 7 divisions de l’armée Debeney le long de l’Arve, avec 90 chars légers Renault. Ils poussaient sur la route Amiens-Roye. La III e armée française de Humbert progressait au sud de Montdidier pour rejoindre la première armée à Roye. « Il faut aller vite et marcher fort », ordonnait Foch. Les Allemands reculaient jusqu’à l’ancienne ligne Siegfried. Ils avaient dû renoncer au bénéfice de leurs offensives répétées.
Les succès étaient oubliés, la victoire perdue. Ludendorff devait écrire plus tard que ce 8 août avait été « le jour de deuil de l’armée allemande ». Le 14 août, au Conseil de la couronne où figurait l’empereur d’Autriche, le quartier-maître général, qui avait offert sa démission, affirmait qu’« il n’y avait plus d’espoir de briser par des actions militaires la volonté de l’Entente ». Il se voyait confier la tâche de « paralyser les Alliés par une défense stratégique ». Guillaume II se réservait de « guetter le moment favorable pour s’entendre avec l’ennemi ». Dans leur esprit, la guerre était finie, le 14 août 1918.
Pendant trois mois encore, jusqu’au 11 novembre, les hommes devraient mourir par dizaines de milliers avant d’entendre sonner le cessez-le-feu, parce que ni les
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