Les Poilus (La France sacrifiée)
« guerre qui rapporte », celle des « buts de guerre ».
Foch, soucieux de maintenir l’entente essentielle avec l’armée de Haig, tranche d’abord en faveur des buts de guerre britanniques qui exigent la libération immédiate de la Belgique pour détruire les bases sous-marines et reconstituer le matériel portuaire indispensable à la reprise du commerce. Le généralissime élude en effet l’opération que le général américain Pershing méditait avec Pétain vers la Lorraine et Metz, à partir de Saint-Mihiel. Pour Washington, la libération rapide de la Belgique était souhaitable, mais non primordiale. Il convenait d’abord de franchir le Rhin et d’imposer aux Allemands la fin de l’Empire des Hohenzollern, l’avènement de la démocratie transparente, favorable aux investissements et au commerce libres.
Les Américains, dit Foch, auront tout loisir de réduire, avec l’aide des Français, la « hernie » de Saint-Mihiel, mais ils devront reconvertir leurs seize divisions en direction de la vallée de la Meuse à Mézières, pour prendre à revers les armées allemandes de Belgique et soutenir l’offensive de Haig dans les Flandres. Lloyd George est satisfait : le corps expéditionnaire britannique est plus attaché à la libération de la Belgique qu’à l’occupation de l’Allemagne. C’est le « but de guerre » constant de la Grande-Bretagne depuis le début des hostilités. Pershing et Pétain, qui rêvaient d’être les arbitres de la paix en visant le cœur rhénan de l’Allemagne, suivant les espoirs exprimés par les « comités du Rhin français », devront patienter.
Les Allemands n’ont qu’une chance : privilégier l’Amérique comme interlocuteur pour assurer un règlement qui préserve l’essentiel, leur capacité de reconstruction industrielle et commerciale. Ils ont multiplié en vain les démarches de paix. Il leur reste à tenir fermement, pour obliger leur principal adversaire à une négociation. Ils verrouillent le front de l’Ouest et si les Américains remportent une victoire à Saint-Mihiel, ils se font décimer dans l’Argonne où leurs unités, trop nombreuses, pataugent et évacuent difficilement leurs blessés.
Les Douglas MacArthur [125] et les George Patton ne parviennent pas à y emporter la décision, malgré l’aide des trente escadrilles du colonel Mitchell. Les Américains s’emparent avec difficulté, au prix de lourdes pertes, des bois de l’Argonne mais sont arrêtés sur la ligne Brunehilde-Kriemhilde. Les Allemands emploient les moyens nécessaires pour immobiliser d’abord, en priorité, l’offensive de Pershing. C’est lui qu’il faut frapper. C’est avec « le Bouddha de Washington », comme dit Clemenceau en parlant de Wilson, qu’il faut discuter.
Il est naturellement bon d’humilier les Français, pour qu’ils ne puissent se flatter d’avoir remporté la victoire. Ils ne sont pas plus heureux que les Américains dans l’Argonne, sur le front du moulin de Laffaux. Ils piétinent en Champagne dans le massif de Moronvilliers. Les Anglais, perdant des milliers d’hommes, ont libéré Saint-Quentin et Armentières, mais ne peuvent prendre Douai. Ludendorff remplit son contrat : il recule pied à pied, pour donner le temps aux responsables politiques de négocier, et d’abord avec les Américains, déjà conscients de leur situation peu satisfaisante dans la phase ultime de la bataille.
Ces derniers combats, destinés de part et d’autre à prendre des positions favorables pour la discussion de la paix, sont parmi les plus meurtriers de la guerre, ils sont implacables. Avec des bataillons réduits à 120 hommes, des divisions de 6 bataillons, Ludendorff multiplie les pièges, les contre-attaques partielles, les bombardements de troupes en marche. Les Allemands intensifient les destructions de voies de communication, le sabotage des mines, des usines, des moyens de production. Ludendorff laisse derrière lui table rase.
Au 1 er octobre, Pétain a perdu 270 000 hommes depuis le 8 août, beaucoup plus que Nivelle au Chemin des Dames. Les jeunes de la classe 1918 comptent leurs survivants. Plus que jamais les poilus meurent encore à l’assaut des pitons, des mamelons de la montagne de Reims ou des creutes de la ligne de l’Aisne.
Quand l’armée du général Franchet d’Esperey, forte de 400 000 hommes, a percé le front bulgare le 18 septembre au Dobropolié [126] , obligeant l’ennemi à signer
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