Les Poilus (La France sacrifiée)
allemande, et interviennent pour son extinction. En 1924, l’Américain Dawes préside le comité d’experts qui permet à l’Allemagne (contre l’acceptation d’une créance de 7,5 milliards échelonnée et réduite) de recueillir 30 milliards de marks-or de capitaux étrangers, aux deux tiers américains, mais aussi anglais et hollandais, pour sa modernisation industrielle. Un nouveau plan, présidé par l’Américain Young, président de la General Electrics, réduisait encore de 17 % la dette, échelonnée sur cinquante-neuf ans. Les Américains protègent ainsi leurs placements importants en Allemagne, et notamment des investissements industriels dont le rapport ne cessera jamais sous Hitler comme l’a démontré l’historien américain John Loftus [123] .
En 1919, le président Wilson ne cesse d’intervenir pendant les négociations de Versailles pour la liberté des mers et la libération des échanges. Les Anglo-Saxons détruisent immédiatement la flotte des sous-marins ennemis, et applaudissent au sabordage géant de Scapa Flow. Ils se soucient de développer aux dépens des Allemands la liberté de navigation sur les grands fleuves européens : ainsi la liberté est-elle établie sur le Rhin en 1919, étendue aux pays non riverains. De même la Convention internationale du Danube autorisait les États non riverains, particulièrement la Grande-Bretagne, à constituer des compagnies de navigation capables de disputer aux Allemands leur suprématie commerciale dans les Balkans. La paix américaine et britannique établit le principe absolu de concurrence.
Les Français de 1918, au moment où la guerre devrait se terminer par une « victoire », sont les plus handicapés des Européens après quatre ans de conflit. Ils ont perdu, comme les Britanniques, leur matelas capitaliste et se battent à crédit. Les sous-marins ont coulé une partie de leur flotte marchande. En France, le parc de locomotives et de wagons a fondu, le matériel est hors d’usage, les gares des régions du Nord et de l’Est anéanties. Les pertes démographiques sont comparativement plus sensibles que celles des Allemands et surtout l’outillage industriel dans les régions envahies a été systématiquement détruit par les combats ou saboté par l’armée de Ludendorff en retraite. Les Français n’ont pas les moyens de se chauffer, de se nourrir et de travailler sans aide extérieure.
Pour eux comme pour les Italiens, la victoire doit être une réparation immédiate. À plus long terme, elle doit rendre impossible la reconstitution outre-Rhin d’une puissance économique capable de soutenir une nouvelle guerre mondiale. La récupération de l’Alsace et de la Lorraine, provinces minières et industrielles, est certes une consolation. Mais les dirigeants estiment indispensable de disposer du charbon de la Sarre, de contrôler la Ruhr, et de séparer de l’Allemagne de l’Est le bassin houiller de Haute-Silésie. Ils comptent en outre faire main basse sur les brevets allemands de l’industrie chimique, au titre des réparations. Ils envisagent une paix de récupération et d’enfermement du géant allemand dans un filet protecteur qui l’empêche de redevenir le Gulliver monstrueux de 1914, capable de nourrir la guerre sur deux fronts sans s’essouffler. Ils établissent ainsi, sans que l’opinion s’en rende compte, abusée par une propagande antiallemande, une nouvelle configuration impérialiste en Europe. Pour les Français, la définition des buts de guerre, réparations et sécurité, implique l’abaissement économique sensible de l’Allemagne, en quelque sorte sa réduction, au nom de l’équilibre européen.
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De la sorte, la définition des buts de guerre et la recherche acharnée de positions clés pour le règlement de la paix dominent la stratégie des Alliés, mais aussi celle des Allemands, dans les dernières semaines de la guerre.
La poursuite des opérations, pour les semaines qui précèdent l’armistice du 11 novembre, fait apparaître clairement les buts de guerre des adversaires et ceux, divergents, des Alliés. Si la guerre, selon le philosophe Alain, « naît des passions », elle se termine par la confrontation des raisons d’État, qui exigent des tommies, des doughboys, des Michel [124] et des poilus d’ultimes sacrifices, dont ils ignorent la finalité, qui ne sont plus dans la logique de la « patrie en danger », celle d’août 1914, mais déjà de la
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