Les Poilus (La France sacrifiée)
l’armistice dès le 29 septembre, quand le colonel Lawrence fonce avec ses cavaliers arabes sur Damas et qu’Allenby fait mouvement avec 450 000 hommes sur Naplouse, le colonel Colin s’empêtre avec la 62 e division dans les ravins et les creutes entre la Vesle et l’Aisne, progressant au prix de pertes quotidiennes lourdes. Il combat constamment en liaison avec la brigade italienne de Brescia et les unités américaines. Il est même, pour un temps, placé sous le commandement d’un général de corps d’armée américain.
La progression est rendue difficile par l’acharnement des troupes de la Garde prussienne à se retrancher derrière le moindre obstacle, bien protégées par l’artillerie. Le 338 e régiment de Louis Masgelier est constamment en bataille, jusqu’à l’épuisement. Parti le 8 septembre du plateau au nord de Fismes, il n’atteint pas l’Aisne le 1 er octobre, et se bat avec ardeur autour du petit bourg de Glennes, ne pouvant trouver de repos dans les grottes arrosées systématiquement de gaz moutarde par l’ennemi en retraite.
Par infiltration, les Allemands lancent de fréquentes contre-attaques appuyées par des bombardements au gaz. Le colonel du 279 e régiment, Boisselet, rendu aveugle, doit être évacué. Colin demande en vain la relève de ses unités. Rattaché à la V e armée de Berthelot, il doit sans cesse lancer de nouvelles opérations, toutes malheureuses. Quand Guillaumat remplace Berthelot au début d’octobre, le général projette de franchir immédiatement le canal latéral à l’Aisne. Mais les mitrailleuses allemandes veillent et le colonel Colin montre le danger d’une opération sans préparation.
Un petit groupe de seize hommes réussit à franchir le canal dans le brouillard matinal, sur un radeau improvisé. Le sous-lieutenant Gabel les commande. Dès qu’ils sont repérés, ils subissent un violent bombardement d’artillerie et sont cernés par les Allemands. Gabel refuse de se rendre. Ses hommes et lui-même sont hachés par la mitraille. Les survivants sont faits prisonniers. Un seul s’échappe en traversant le canal à la nage. Le 6 octobre, quand le colonel Colin apprend que l’Allemagne « fait des propositions de paix », il compte ses pertes : 239 hommes au 338 e , 436 au 307 e , et 724 au malheureux 279 e régiment recruté dans la région de Decize, celui qui a le plus donné. Et les poilus n’ont toujours pas réussi à franchir l’Aisne.
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Les Allemands aussi ont fait le compte de leurs pertes [127] . Le 28 septembre, Hindenburg et Ludendorff ont prévenu leur gouvernement qu’il devait demander la paix sur l’heure. Les seigneurs de la guerre suggèrent qu’un cabinet issu de la majorité parlementaire soit nommé, pour que les Alliés n’aient aucune raison de contester la légitimité des instances politiques allemandes. Ce souci indique suffisamment que l’état-major est le premier convaincu qu’il faut traiter avec les Américains en priorité et leur offrir les concessions politiques auxquelles ils tiennent par-dessus tout.
Hintze, le ministre des Affaires étrangères, exige un délai. Le chancelier Hertling démissionne immédiatement et Guillaume II consent à demander l’armistice, mais après la nomination d’un cabinet responsable. Ce scrupule tardif d’un autocrate prussien peut surprendre. Max de Bade, pressenti, ne s’y trompe pas. Ce prince de sang royal est en effet l’époux d’une Anglaise. On pense qu’il sera bien vu de Wilson, parce qu’il a désapprouvé en 1917 la politique de guerre sous-marine à outrance, cause immédiate de l’entrée en guerre des États-Unis.
Il refuse d’abord, puis se laisse convaincre. Le temps passe. Max de Bade cherche à former son gouvernement. Pendant la nuit du 1 er au 2 octobre, Ludendorff, très alarmiste, avertit le ministre Hintze qu’« une percée peut intervenir à tout moment » sur le front de Saint-Quentin. Il télégraphie deux fois dans la nuit, implorant, désemparé : « Je veux sauver mon armée », se lamente-t-il. Il veut en fait négocier un armistice convenable, parce qu’il tient ses troupes encore bien en main.
Le 2 octobre, Max de Bade, de nouveau pris de scrupules, et saisissant le mécanisme de l’état-major, refuse de signer la demande d’armistice, « aveu de défaite ». Que les militaires prennent donc leurs responsabilités ! Qu’ils assument jusqu’au bout leur dictature de guerre ! Hindenburg vient en
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