Les Poilus (La France sacrifiée)
provinces annexées se précipitent dans les bureaux de la Légion étrangère, au centre de recrutement. Sitôt engagés, ils prendront la nationalité française et seront affectés dans d’autres corps. Les régiments de la Légion ne seraient pas en mesure de les accueillir tous. Si l’on en croit Dorgelès, les recrues défilent sur les boulevards en arborant des pancartes : « volontaires juifs », « volontaires alsaciens », « volontaires polonais ». Les mineurs venus de Pologne sont en effet nombreux déjà dans le Nord. Comme les Serbes et les Roumains travaillant en France, comme les ouvriers agricoles belges des plaines céréalières, ils choisissent de s’engager d’abord dans l’armée française, dans l’espoir de faire exploser l’Europe des Empires qui menace les petites nationalités. Une division polonaise, un régiment tchèque seront constitués en France pendant la Grande Guerre.
Des Américains parmi eux : les Norman Prince, les Kiffin Rockwell, les William Thaw sont partants pour l’aventure et méprisent les avis de leurs familles fortunées pour s’engager dans l’artillerie, ou l’aviation. Ils estiment leur président critiquable de ne pas avoir soutenu la Grande-Bretagne dans son entrée en guerre. N’explique-t-on pas dans tous les journaux d’Occident que l’armée allemande, en violant la neutralité belge, en opprimant les populations civiles, s’est rendue coupable de crime de guerre ?
Un « appel aux étrangers » est lancé par le poète globe-trotter Biaise Cendrars, suisse d’origine, et par l’Italien Canudo dont la patrie est encore neutre. Il assure que les descendants des garibaldiens vont de nouveau franchir les Alpes, comme en 1870, pour venir au secours de la République française. Pour eux, l’Empire allemand et l’Autriche-Hongrie sont des États oppresseurs des nationalités dont il faut débarrasser l’Europe. Ces engagements sont idéologiques. Montés en épingle par la presse, ils accréditent le thème de la guerre juste, celle qui résiste à l’agression. Cet appel aux nations d’Europe n’est pas encore au premier plan de la propagande, mais il est déjà présent.
Les Français de l’étranger sont invités par les consulats à rejoindre le pays au plus tôt, pour satisfaire à leurs obligations. Il en vient de Russie, du Canada, d’Amérique latine et du Proche-Orient, partout où les Français ont des affaires ou des engagements professionnels. Quant aux coloniaux, ils trouvent naturellement leur place dans l’armée d’Afrique et dans les unités levées en Algérie.
La marine doit assurer, aux premiers jours de la mobilisation, le transport de 35 000 soldats d’Algérie, des 35 000 soldats des 37 e et 38 e divisions, ainsi que de la division marocaine du général Humbert. Les réservistes des ports, non embarqués en raison de leur âge, sont enrégimentés dans la brigade de l’amiral Ronarc’h, un solide Quimpérois qui ne veut pas se contenter de maintenir l’ordre dans Paris. À partir de son PC de la Maison de la Légion d’honneur à Saint-Denis, il entraîne ces inscrits maritimes venus de Lorient, de Brest, de Rochefort et de Cherbourg pour la guerre. Certains sont des volontaires de l’école des apprentis mécaniciens de Lorient. On en compte une cinquantaine qui ont à peine dix-huit ans. D’autres ont réussi à se faire engager à seize ans. Plus de la moitié de ces fusiliers marins seront tués ou blessés dans les Flandres.
Les navires de commerce protégés par les torpilleurs chargent dans les ports d’Afrique du Nord les « pieds-noirs » mobilisés dans les quatre régiments de zouaves mais aussi dans deux unités mixtes de zouaves et de tirailleurs. Neuf régiments de « turcos » (les tirailleurs) sont levés en Algérie, Tunisie et Maroc. D’autres troupes d’élite, les régiments de « marsouins », des soldats de l’infanterie coloniale ont recruté des unités noires sur le principe du volontariat appliqué dans l’armée d’Afrique, mais qui se traduira bientôt par des levées d’hommes, portant en France, pour la durée de la guerre, plus de 181 000 combattants d’Afrique noire. Ainsi débarque à Bordeaux le bataillon du commandant Frèrejean, un officier de la coloniale, qui sera presque entièrement massacré à Dixmude. L’infanterie légère d’Afrique compte cinq unités à Oujda, Casablanca au Maroc, Le Kef et Gabès en Tunisie. La cavalerie est
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