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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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française, dans les cinq régiments de chasseurs d’Afrique, et indigène dans les cinq de spahis. Joffre veut récupérer le maximum de ces troupes en France ; il les arrache au compte-gouttes à Lyautey, qui a besoin de fusils et de sabres pour prévenir les révoltes et assurer l’ordre au Maroc toujours menacé dans ses montagnes.
    Ainsi les « troupes auxiliaires marocaines », issues des tabors de l’armée royale, encadrées par des officiers français, ont dû réduire une révolte des tribus guich que l’administration française prétendait astreindre à l’impôt, alors qu’une coutume ancienne en dispensait les familles, parce que les hommes étaient tenus de répondre à tout appel du souverain pour prendre les armes. Le général Moinier avait rétabli l’ordre dans la région de Fez, troublée par les tribus guich et par les montagnards descendus de l’Atlas pour participer au combat. Les officiers français n’étaient pas sûrs des tabors qui avaient massacré quelques-uns de leurs cadres.
    Ainsi l’armée recrutait au Maroc, pour les envoyer en France, des soldats marocains et des Berbères aux longs cheveux qui ne dépendaient que du sultan. Lyautey protestait, les diplomates s’inquiétaient. À aucun titre, ces soldats ne pouvaient figurer dans l’ordre de bataille de l’armée française. Les officiers français eux-mêmes étaient en situation irrégulière, en position hors cadre. Ils pouvaient être fusillés en cas de capture. Force était de contraindre le sultan Moulay Youssef, tout dévoué aux Français, de signer une beya de déclaration de guerre à l’Allemagne.
    Cette brigade marocaine, où servait Alphonse Juin, fut l’une des premières à débarquer, venant directement du Maroc où elle guerroyait dans la trouée de Taza et dans l’Atlas. Les deux régiments appelés « chasseurs indigènes à pied » étaient constitués de « troupes auxiliaires marocaines », les tabors du sultan. Au camp Gouraud, Juin avait appris que son bataillon était désigné pour rejoindre la métropole. Bonne occasion d’éloigner les tabors toujours prêts à l’insoumission. En France, ils devraient obéir.
    Les hommes vêtus de chemises kaki avaient marché en plein soleil jusqu’à Tourirt, avant d’être dirigés sur Oujda par chemin de fer à voie étroite. À l’étape de Taza, les Français combattaient encore des dissidents. Au poste de M’soun, une reconnaissance de chasseurs d’Afrique était tombée dans une embuscade. Les bataillons laissaient le Maroc non pacifié aux mains de Gouraud et de Lyautey.
    Un bateau les embarquait pour Sète. Ils prenaient ensuite le train pour Bordeaux où se concentrait le premier régiment, en même temps que la division Humbert du Maroc, constituée d’unités françaises. Les hommes revêtaient des vestes de chasseurs alpins et portaient la ceinture bleue, abandonnant la rouge. Les pèlerines remplaçaient les djellabas. Les chéchias rouges étaient conservées, mais recouvertes d’un chèche jaune canari qui ferait fureur au camp de Châlons, où la brigade était enfin constituée, aux ordres du général Ditte.
    Joffre comptait sur ces Marocains, les seuls, avec les deux régiments de la Légion étrangère, qui eussent connu le feu, pour attaquer en première ligne. Ils se feraient tuer sur l’Ourcq, où ils partiraient au pas de course sans soutien d’artillerie.
    Voici l’armée en bataille, au mois d’août 1914. Ses combattants sont rarement des professionnels, en dehors des officiers et des engagés volontaires ou mercenaires coloniaux. C’est l’armée de la nation. Elle reflète les diversités des provinces, des métiers, des conditions sociales. Les hommes qui portent sur l’épaule le fusil Lebel ont en commun d’avoir accompli leur service militaire.
    Depuis leur enfance, ils ont été bercés par la chanson patriotique, celle de l’école laïque ou religieuse, tout aussi transie de valeurs nationales. Les officiers catholiques de droite ne sont pas moins fanatiques de l’armée que ceux de gauche, accusés d’être promus, comme Joffre, pour leur appartenance à des loges. Ils reprochent au contraire à la gauche d’avoir affaibli et divisé l’armée lors de l’affaire Dreyfus et de la guerre anticléricale de 1906. Mais tous les cadres sont d’accord pour inculquer aux recrues le catéchisme du parfait soldat de la République. Les jeunes gens de vingt ans ont été abreuvés au régiment

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