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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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Romans, a demandé en 1912 son congé sans solde.
    *
    Les soldats qui montent en ligne sont rasés de frais et les cheveux sont coupés « au bol ». On admet seulement la moustache, signe de virilité. Les discours officiels insistent sur cette qualité essentielle du troupier. Seuls les hommes peuvent en France voter et payer l’impôt du sang. Ils peuplent jusqu’aux services de santé : peu d’infirmières militaires à la mobilisation.
    Les plus nombreux, et de très loin, sont ceux de l’infanterie. Ils sont lourdement équipés pour une campagne que l’on souhaite mobile. Ils ploient sous la charge : 30 kilos de fourniment, dans la tradition de l’infanterie, de Canrobert et du père Bugeaud. La musette et le bidon sont à part, attachés en sautoir par des courroies de cuir. Il ne faut pas manquer de vin et de vivres dans les marches, encore moins dans les attaques où les services de l’arrière sont désorganisés. Autour de la taille, la cartouchière portant les balles du fusil Lebel. Le sac est un prodige de construction savante. Une couverture roulée et une toile de tente pliée le surmontent, ainsi qu’une gamelle trop brillante au soleil qu’il faudra rapidement noircir. Il est flanqué d’une petite pelle de service pour le creusement des trous individuels.
    On n’envisage pas alors de se terrer dans un système de tranchées. Pas de casque, une casquette rouge que l’on recouvre d’un manchon bleu. Il faut attendre les premières blessures par éclats à la tête pour qu’on distribue aux fantassins d’incommodes et lourdes calottes d’acier qu’ils doivent loger au fond de leur coiffure. Ils portent, bien visible, le numéro de leur régiment au collet.
    En hiver le pantalon rouge garance est recouvert par la longue capote bleue mais il est très visible l’été, quand la capote elle-même est roulée et s’ajoute au poids du sac. La baïonnette est attachée par une courroie au ceinturon. Les mitrailleurs doivent déplacer des engins de 24 kilos dans des voiturettes tirées par les ânes ou sur le bât des mulets, nombreux dans les régiments d’infanterie.
    Tels quels, ces fantassins qui ne sont pas encore des poilus de l’été 14 apparaissent comme les figurants d’une armée du passé déployant dans les champs à peine moissonnés ses rubans bleus et verts. Les fantassins doivent savoir marcher. Tous les chants et les airs de la clique, dont certains remontent à la période napoléonienne, Auprès de ma blonde, Ah ! les fraises et les framboises, sont destinés à les soutenir dans l’effort. Ils marchent mal, et détestent marcher. Les ruraux supportent bien le poids du sac et du fusil, mais faiblissent dans les longues étapes, qui exigent des qualités sportives. Seuls les hommes spécialement entraînés peuvent résister à des marches de cinquante kilomètres sous le soleil. On constate de nombreuses défections quand les régiments s’étirent sur les routes à la sortie des gares. Il faut attendre les traînards, prendre les plus affaiblis en voiture. La légende d’une France rurale marchant d’un pas égal ne résiste pas à l’examen des souvenirs de guerre.
    Un officier de la noblesse du Vivarais, Bernard de Ligonnès, lieutenant au 58 e d’infanterie d’Avignon, nullement bien noté pour ses vertus militaires de temps de paix, s’était fait remarquer de ses chefs en 1902 par ses qualités de marcheur. Avec trois caporaux et six soldats, il s’était lancé dans une « marche de résistance » de 202 km, avec tout de même 18 kilos sur le dos. Le raid avait duré seulement 58 heures. Les soldats avaient marché pendant 84 km le premier jour, 75 le deuxième et 44 dans la matinée du suivant. Un véritable record, obtenu grâce à l’entraînement des marcheurs par un chef qui avait longuement pratiqué lui-même cet exercice.
    Le général de division avait été informé de cette performance. Il s’était réjoui de « ce succès digne des meilleurs exemples de l’infanterie ». La marche était alors le tout premier exercice auquel étaient soumis les conscrits du service militaire. Ils devaient apprendre à soutenir l’effort, à maîtriser leur souffle, à surveiller constamment l’état sanitaire de leurs pieds. L’idéal était de réaliser des étapes quotidiennes de 50 km, courantes sous le premier Empire. Le succès du raid du commandant de Ligonnès n’était pas applicable à l’ensemble de la troupe, et de loin.

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