Les Poilus (La France sacrifiée)
de discours sur la défense de la patrie, persuadés que l’armée française était la plus moderne et la plus résolue en Europe à défendre le pays contre l’agression.
Ceux qui partent pendant l’été sont des jeunes gens ou des hommes jeunes. La classe a vingt-trois ans à sa sortie du service. Les réservistes constituant les unités dédoublées avant le 15 août ont moins de trente ans. Les autres seront appelés plus tard. Même les territoriaux sont des adultes dans la force de l’âge, puisque les « pépères » accablés de sarcasmes ont de quarante à cinquante ans. Ils sont dotés d’un équipement rudimentaire et d’un armement archaïque. Ils assurent le service de place dans les villes de garnison. Mais ils seront vite enrégimentés dans les divisions, et même conviés martialement à boucher les trous des unités combattantes. La nation tout entière est appelée à se battre, tous âges confondus.
Les officiers sont les plus âgés de l’armée, en raison du manque de cadres. Il viendra plus tard à l’esprit des chefs d’assurer la relève en faisant rapidement gravir les échelons aux hommes courageux et responsables sortis du rang. Ils seront nommés officiers sur le tambour. Pour l’heure il n’en est pas question : le haut commandement ne fait confiance qu’aux officiers d’active, il bat le rappel du tableau, pour enrégimenter ceux qui avaient abandonné le service. Il inscrit d’office tous ceux qui veulent exercer un commandement, même des parlementaires comme Maginot, plus tard le ministre de la Guerre Messimy, engagé comme chasseur à pied, et l’ancien député, gendre de Boulanger, le colonel Driant, qui devait s’illustrer à Verdun à la tête de ses chasseurs. Les officiers supérieurs sont tous des hommes rassis, maintenus ou rappelés au service après l’âge de la retraite. L’état-major veut des hommes sûrs et expérimentés, et non des têtes brûlées. Seuls les frais émoulus de Saint-Cyr combattront en gants blancs, comme de Gaulle ou Juin, lieutenants au premier rang des unités combattantes.
On ignore tout, au moment du départ au front, de la valeur des hommes et du commandement. L’état-major est peuplé de théoriciens qui n’ont pas connu la guerre, de logisticiens, de stratèges d’école, pas de tacticiens.
Ces hommes n’ont aucune expérience du feu. Leur pays est en paix depuis près d’un demi-siècle. Seuls les vieux officiers, ceux que l’on recrute en leur demandant seulement de se tenir à cheval, ont une expérience de la précédente guerre prussienne qui n’a rien de commun avec le conflit qui se prépare. Même Joffre, le général en chef des armées du Nord-Est, ignore tout du feu moderne, celui qui a douloureusement fait ses preuves dans les récentes guerres balkaniques où les belligérants utilisaient les canons Krupp et Schneider. Joffre n’a brûlé ses cartouches qu’avec Archinard dans la guerre du Soudan. Sa méconnaissance de la guerre est totale.
Sont-ils décidés à en découdre, ceux qui se pressent dans les wagons à bestiaux vers les frontières ? Les exemples d’héroïsme sont déjà cités dans les journaux, avant même la déclaration de guerre. Le caporal Peugeot devient un martyr dans le pays de Belfort. Le 2 août, deux patrouilles de chasseurs allemands avaient attaqué par surprise, dans le village de Joncherey, un détachement français. Le caporal Peugeot y avait trouvé la mort, premier pantalon rouge enterré avec les honneurs de la guerre.
Le 4 août au petit matin, les « pieds-noirs » qui embarquaient à Alger avec les « turcos » sur le vapeur Saint-Thomas craignaient fort d’être torpillés. Ils venaient d’être bombardés par un navire allemand. Un autre, battant pavillon russe, avait tiré vingt obus sur Philippeville. L’amiral allemand Souchon avait réussi à tromper la vigilance des navires français et anglais, à longer les côtes algériennes avant de trouver refuge à Constantinople. On avait loué à cette occasion le sang-froid des « turcos » et le calme des populations civiles agressées en dépit des lois de la guerre. Dès le 7 août, les troupes françaises avaient abattu les poteaux frontières d’Alsace et marchaient sur Mulhouse, dans un « magnifique élan », dit le communiqué. Pouvait-on imaginer, écrivait-on dans les journaux parisiens, une armée plus magnifiquement audacieuse ?
Quoi de commun entre les enragés de
Weitere Kostenlose Bücher