Les Poilus (La France sacrifiée)
ont peut-être déjà franchi le Rhin. Toutes les unités de la première mobilisation vont se trouver mêlées aux vastes mouvements stratégiques des débuts de la guerre, quand les états-majors espèrent encore réaliser leurs plans. Les Allemands se hâtent lentement, prévoyant une attaque générale à partir du 17 août par la Belgique. Ils ont déjà opéré un coup de main réussi sur les forts de Liège, dont Ludendorff s’est emparé en les bombardant avec des obusiers lourds. Les Français ont fixé le départ du plan XVII à peu près à la même date, mais Joffre a pris de l’avance en Alsace.
En avant sur Mulhouse, dès le 7 août ! Le général en chef ignore le plan allemand, mais il ne veut pas être débordé. Plus on lui signale des concentrations ennemies près de la Belgique, plus il s’en réjouit : il aura d’autant moins d’unités contre lui en Alsace et en Sarre. Il veut partir le premier, et, si possible, prendre les bords du Rhin en quinze jours. Il affecte quatre armées à cet objectif. La II e , aux ordres du général de Curières de Castelnau, concentrée entre Pont-à-Mousson-Nancy au nord, Neufchâteau-Mirecourt au sud, tient à la fois la Meurthe et la Moselle et les flancs nord des Vosges. 314 000 pantalons rouges, conduits par 9 000 officiers, dotés de 110 000 chevaux pousseront vers la plaine d’Alsace, au risque de se heurter à des défenses allemandes meurtrières.
Ceux de la I re armée, d’abord commandée par Dubail, sont 150 000 hommes, sans compter les régiments de cavalerie et d’artillerie. Parmi les réservistes de cette armée formée dans un triangle entre Saint-Dié, Épinal et Belfort se trouvent un grand nombre de biffins recrutés dans toutes les régions de France.
Le plan oblige : pour faire vite, à peine concentrés, les corps d’armée se précipitent sur le Haut-Rhin à marches forcées. Le lieutenant Albert Malaurie du 171 e d’infanterie, parti du sud de Masevaux, petit bourg situé sur le rebord oriental des Vosges, a gagné à travers bois, avec trente hommes, la frontière d’Alsace. Il a fait mettre ses pantalons rouges au garde-à-vous devant le village de Bréchaumont, et présenter les armes dans les rues désertes, aux fenêtres garnies de géraniums, d’œillets et de verveines. Les Alsaciens ont offert des présents, du pain, du vin, des fruits. Ils parlent français comme ils peuvent. Mais les hommes lèvent le chapeau et les femmes battent des mains. Même accueil enthousiaste à Traubach-le-Haut, à Burnshaupt-le-Haut. Les biffins prennent d’assaut sans casse une tranchée défendue par quelques dragons. Pour le lieutenant Malaurie, agrégé d’histoire et patriote, c’est une intense émotion que ce retour en Alsace. Il a, l’un des premiers, détruit la ligne frontière de l’humiliation [17] .
La ville de Mulhouse est prise le 7 août, perdue le 10, reprise le 14, et reperdue au cours d’une deuxième offensive qui se termine le 17 août, et qui porte à la fois sur la Haute-Alsace et sur Sarrebourg. Action relativement peu coûteuse, où les réserves ne sont engagées qu’au compte-gouttes.
L’échec ne décourage pas Joffre, qui n’a pas renoncé pour autant à son plan. Il renforce seulement les unités d’attaque, et les fait seconder par une artillerie de campagne plus nombreuse. Alors que deux armées allemandes commencent le 20 à envahir la Belgique, une troisième offensive française, très meurtrière celle-là, échoue devant Sarrebourg et Morhange dans les jours qui suivent le 19 août.
L’avance d’une troisième armée allemande dans les Ardennes et les renseignements venus de Belgique obligent alors seulement le général Joffre à revoir entièrement son dispositif, par un changement à cent quatre-vingts degrés. Il est clair que les Allemands attaquent en masse par le nord. Les unités françaises du front de l’Est reçoivent l’ordre de monter dans les wagons qui les conduiront vers l’ouest, en train, puis à cheval, à pied surtout.
Les pieds des fantassins semblent inusables. On livre bataille en Belgique, autour de Charleroi, où 130 000 soldats français tombent en trois jours, morts ou blessés, en même temps que l’on se cramponne sur les crêtes du Grand-Couronné de Nancy, où Castelnau réussit à se maintenir au prix de lourdes pertes contre des forces très supérieures.
La retraite sur la Marne commence, épuisante pour l’armée française, car les
Weitere Kostenlose Bücher