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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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Pont-à-Mousson, il doit grimper dur. Au bout de quelques kilomètres, « beaucoup lâchent pied ». Une armée composée en majorité de paysans est-elle adaptée aux longues marches forcées ? L’expérience prouve le contraire : les étapes accomplies sac au dos sous la canicule sont une véritable épreuve de force que seuls des sportifs entraînés peuvent réussir. Ce n’est pas le cas des soldats abreuvés de petit gris de Toul, suant sous l’équipement, harassés par le poids des impedimenta. À quarante ans, le lieutenant Péguy, l’intellectuel du régiment, marche mieux et plus vite que ses hommes, « de son pas saccadé et presque automatique ». Il va de la tête à la queue de colonne, pour encourager ceux qui flanchent et les rallier.
    Ils doivent souvent se mettre en file indienne le long de la route pour laisser passer les convois militaires et les files d’autobus parisiens chargés de quartiers de viande. Les soldats épuisés par la marche sont plus à l’aise, après un temps de repos, pour creuser des tranchées autour des villages comme l’exigent les instructions. Les ruraux ont l’habitude de manier la pelle. On organise déjà des positions fortifiées, mais seulement dans les secteurs calmes, défensifs.
    La division s’avance le plus vite possible en direction de la frontière en face de Metz, multipliant les points d’appui. Les orages transforment les tranchées en ruisseaux de boue où personne ne songe à dormir. Les soldats préfèrent coucher à la belle étoile, ou dans des cabanes sommaires de branchages, sur des gerbes d’avoine saisies dans les champs voisins. La marche d’un village à l’autre est « lourde, pénible [20]  ». On attend avec impatience les grand-haltes où la gourde encore pleine de vin permet de reconstituer les forces.
    Le régiment descend vers le sud-est, se rapprochant des divisions d’attaque dans la journée du 19 août. Joffre lance en effet sa troisième offensive en direction de Morhange et de Sarrebourg. De nouveau les pantalons rouges accablés par la marche s’arrêtent dans les villages pour creuser des tranchées. Ils s’y montrent habiles et résolus. Le 20, ils aperçoivent au loin les flammes du village martyr de Nomény.
    Ils ne peuvent savoir que tout Nancy est frappé de stupeur à la nouvelle du drame : les soldats du 9 e corps bavarois, furieux d’avoir été tenus en respect par les Vendéens du 277 e de Cholet et les Angevins du 335 e , ont exercé des représailles sauvages contre la population accusée d’abriter des francs-tireurs : ils ont incendié les maisons en jetant des bidons de pétrole dans les caves où les familles avaient trouvé refuge. Quarante-six hommes, quatorze femmes et cinq enfants auraient été abattus parce qu’ils cherchaient à fuir les lieux du sinistre. Le maire, François Chardin, avait été fusillé. Les seuls rescapés avaient trouvé refuge dans l’église du curé Lhuillier. Dans les colonnes en marche du 276 e , on soupçonnait le drame, on n’en connaissait pas encore le détail.
    *
    Que savaient-ils de la guerre, les réservistes non engagés ? À peu près rien. Les Briards allongent le pas quand ils entendent au loin le canon, sans rien connaître de la bataille. « Nous vivons séparés du monde, note Boudon le dimanche 23 août, dans l’ignorance complète des événements qui se déroulent ». Point de journaux, le courrier de la famille est nul. Le « soldat René » raconte que, le 15 août, deux semaines après la mobilisation, on distribue trois ou quatre lettres pour une compagnie de deux cent cinquante hommes. Rien pour lui avant le 3 septembre. « Les lettres mettent quinze jours pour venir. C’est à peu près le temps qu’il faut pour faire le trajet à pied. »
    Les chefs sont-ils mieux informés ? Les états-majors des unités non engagées sont reliés par téléphone aux armées, et celles-ci au QG de Vitry-le-François. Mais Joffre n’aime pas téléphoner. Il envoie ses ordres par écrit, et ne dédaigne pas les pigeons voyageurs. Au 276 e , c’est toujours un courrier à cheval qui apporte au capitaine les ordres du jour. Ils sont laconiques et ne donnent pas une idée détaillée de la bataille, se contentant de définir avec exactitude les objectifs de la journée, sans parler de la situation générale. Toute littérature annexe ne servirait qu’à miner le moral, pensent les chefs.
    Les journaux sont eux-mêmes dépendants

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