Les Poilus (La France sacrifiée)
e de Grenoble, est le 11 août à Fraize, dans les Vosges, au pied du col du Bonhomme. Son régiment grimpe les pentes ardues de la montagne, il participe à l’offensive vers l’Alsace de la première armée du général Dubail.
La marche est longue et dure, ponctuée d’arrêts dans les villages dont les habitants, redoutant l’arrivée des Allemands, ne montrent aucun enthousiasme. « On devinait que tout était prêt pour fuir au premier signal », dit le caporal. À Wissembach, le bataillon prend la route du col de Sainte-Marie-aux-Mines. À l’aube du 14 août, tout est prêt pour le « bond en avant » vers le Rhin, dont Joffre souhaite qu’il soit décisif.
La cavalerie précède les colonnes. Le hussard Honoré Coudray gagne aussi le col du Bonhomme. Il a reçu le baptême du feu dès le 8 août. Au sommet du col, les compagnies lyonnaises du 158 e de ligne tiraient sur les uhlans, qui avaient coupé tous les poteaux télégraphiques pour retarder l’avance des Français. Des canons de montagne tonnaient. Coudray apercevait pour la première fois des blessés, accueillis dans une ambulance de fortune, près d’un poteau-frontière brisé. Les chevaux des hussards étaient « affolés par la pétarade », ils avaient les flancs « vermillonnés » par les coups d’éperon des cavaliers rendus nerveux par le canon. Ces cavaliers étaient utilisés comme agents de liaison entre les compagnies d’infanterie, qui n’avaient aucun téléphone de campagne.
Duel d’artillerie sur le col du Bonhomme, le 10 août. Honoré ne voit que des avions allemands de repérage, pas un français. Il est bientôt attaqué par-derrière et accablé d’éclats d’obus tirés par des pièces de 77, de très loin. Faute d’informations, les mitrailleurs français tirent trop court. Ils criblent les hussards de rafales. Un groupe de chasseurs à pied attaque, baïonnette au canon. Il est aussitôt décimé par les mitrailleuses ennemies placées aux premières lignes. Ils sont là, près de deux cents cadavres couchés dans l’herbe, les officiers en tête. On évacue les blessés, « allongés sur la paille fraîche ». Le commandant pleure [23] .
Le 11 e régiment de Montauban tient le village de Bonhomme. Si les Allemands traquent et brutalisent les villageois par crainte des partisans, les Français voient partout des espions. Les lignards du Tarn-et-Garonne anéantissent les fermes, « nids d’espions », et allument le feu. Même réflexe du dragon Adrien Bertrand [24] également engagé dans les opérations de la I re armée. Il soupçonne les paysans d’espionnage, poursuit un berger dont le troupeau de moutons servirait prétendument de point de repère aux artilleurs allemands.
Témoin d’une scène de pillage, il ne songe nullement à réprimer. Ses hommes, raconte-t-il, portaient dans une ferme un artilleur blessé d’un éclat d’obus au pied. Le fermier refusait de donner à boire et à manger. Les dragons avaient mis la cave à sac, « joyeusement ». Ils faisaient expier un mauvais patriote avec bonne conscience. Les hussards traitaient d’« embochés » les paysans alsaciens qui leur refusaient du vin et des vivres, ou qui demandaient un prix exagéré pour une piquette de blanc. Ils remplissaient leurs musettes de pommes de terre arrachées dans les champs. Ainsi les soldats du 220 e de Marmande, rendus féroces par la faim, tuent deux maigres cochons à la baïonnette et volent la poule d’un garde-barrière. Trouver une tablette de chocolat dans une épicerie bombardée de village est un événement. Pour les colonnes de pantalons rouges engagées dans la guerre, l’intendance ne suit pas.
Honoré poursuit sa marche en accompagnant l’infanterie sur le Bonhomme, « vivant dans l’ignorance des faits qui se déroulent ailleurs ». Le 17 août, par une belle journée d’été, on entend au départ les chants grivois des fantassins, puis le silence de la forêt. L’extrême fatigue pèse sur leurs épaules et l’angoisse leur serre la gorge : « La troupe n’ose pas chanter sa joie, car elle marche vers l’inconnu. » Ils grimpent vers le col de la Charbonnière, s’attardant au passage pour cueillir des framboises sauvages.
Le 19 août, Honoré frôle la mort. Il est agent de liaison auprès d’un bataillon assailli par l’ennemi. Son cheval, affolé par la mitraille, le démonte et s’enfuit, avant de tomber, criblé de balles. Le caporal myope du
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