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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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des bribes d’informations qu’ils reçoivent de Vitry-le-François ou du ministère de la Guerre. Ils désinforment candidement. L’Écho de Paris assure que « les projectiles de l’artillerie lourde allemande sont très peu efficaces ». Il est bien vrai que Pont-à-Mousson a été bombardée, que l’on déplore quatre tués et douze blessés, mais « l’effet moral est nul ». Passant de nouveau par Pont-à-Mousson en direction de la bataille qui se déroule à l’est, les soldats du 276 e peuvent constater qu’effectivement les projectiles ont causé peu de dommages, mais que la ville est « en grande partie vide d’habitants ». Affolés par le bombardement, ils ont fui après la destruction de l’hôpital.
    Nouveau départ à pied, sac au dos des soldats du 276 e le 23 août, quand la III e armée allemande attaque dans les Ardennes. Il s’agit de marcher en direction d’Étain et de Verdun. « Il fait une chaleur torride qui rend le sac terriblement lourd. » L’étape est de cinquante kilomètres. « Aucun homme n’est resté en arrière, à cause de l’énergie dépensée par les capitaines et lieutenants qui rameutent les traînards. » Tantôt en tête de colonne et tantôt en serre-file, Charles Péguy « ne semble pas sentir la fatigue. Trempé de pluie et couvert de boue, il assure le dur service de surveillance ».
    Dans tous les journaux de marche des unités, on relève des notations de fatigue et de maladie. Des soldats doivent être évacués pour épuisement. Les hommes dorment peu, mangent mal, et sont alourdis sous la canicule par les rasades de vin dont ils abusent pour se reconstituer. Le 275 e d’infanterie, au cours d’une série de marches forcées dans la région de Toul, devra parcourir soixante-cinq kilomètres en trente heures. Le repos ? Six heures de sommeil seulement. Sans compter dix heures d’attente exténuantes et l’énergie dépensée pour creuser, aux étapes dans les villages, des tranchées. Les soldats ont marché pendant trente-sept kilomètres toute une nuit. Arrivés dans un village à 7 heures du matin, ils sont repartis sac au dos à 11 heures pour atteindre un objectif distant de vingt-cinq kilomètres. Réveillés dès 4 heures du matin, ils se remettent en marche à 23 heures, reprenant le barda [21] , pour relever un autre régiment.
    Après quinze jours de campagne, les pantalons rouges, maculés de boue, sont méconnaissables. Les hommes ne trouvent que rarement la force de se raser. Les officiers donnent le mauvais exemple en se laissant pousser la barbe. Très à cheval sur les principes, le capitaine Détrie, le 14 août, écrit à sa femme [22]  : « J’ai trouvé moyen, jusqu’ici, de pouvoir me raser. » Pendant un mois, les hommes ne se lavent pas, et ne se rasent plus. Ils sont hirsutes, sales, dans leurs vêtements couverts de poussière et détrempés par les orages. Les traces de boue sont partout visibles. La poussière de la route, sous la canicule, leur fait grincer les dents. Dès le 18 août, les hussards d’Épinal ont du mal à se reconnaître entre eux, tant leur barbe a poussé. Où pourraient-ils se raser ? Seuls les villages ont des puits. On n’aura jamais le temps, et rarement la chance, de bivouaquer au bord d’un ruisseau.
    Par manque de sommeil, et trop de fatigue et de dépense physique, les hommes commencent à présenter des troubles physiologiques. Les chauds et froids en surprennent plus d’un : accablés pendant la marche de jour par la forte chaleur, leurs gilets et chemises trempés, ils se reposent à l’ombre des sapins des Vosges où la fraîcheur les saisit dans la nuit. Les ruraux résistent mieux à ce régime d’effort soutenu, mais les ouvriers du textile du régiment de Romans n’ont pas la robustesse des solides vignerons bourguignons, leurs compagnons de recrutement du 275 e . Ils toussent et se mouchent déjà, bien avant l’hiver, dans les vastes mouchoirs à carreaux que leur a fournis l’intendance. Certains doivent être évacués.
    Du moins ces réservistes ne connaissent-ils la guerre que par ouï-dire, par ce que les colonnes de blessés leur apprennent. Ils n’ont pas poussé leur marche jusqu’à son terme déjà obligé : la mort sur le champ de bataille.
    *
    Les témoignages donnent une vision très différente de la réalité de la guerre dans les axes des offensives d’été. À la fatigue s’ajoute alors l’épouvante. Le caporal Delabeye, du 140

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