Les Poilus (La France sacrifiée)
main peut être expédiée par l’état-major aux abois au plus dur des combats. Les inscrits maritimes de Brest et de Lorient faisaient la police dans Paris. Ils n’avaient pas encore pris l’habitude des exercices d’infanterie. Le vieil amiral les avait formés à la hâte. Mais il faut parer au plus pressé. Les marins sont embarqués comme des biffins, dans les wagons à bestiaux. Ils coucheront sur la paille, sans hamac.
L’amiral le premier. Le patriotisme doit être partagé au feu. Pas de privilège, les lieutenants de vaisseau, les enseignes chargent sabre au clair comme s’ils sortaient de Saint-Maixent. Ronarc’h dort avec ses hommes sur un lit de paille humide. Il s’embusque dans des tranchées d’un mètre à peine, creusées dans le sable. Les matelots ont de l’eau jusqu’au mollet. Ils pataugent dans les fonds boueux. Le fusilier Lagardère se fait tuer pour tirer vers l’arrière Chauliac, son capitaine, frappé d’une balle dans le poumon. Les officiers et les matelots continuent d’avancer, sous le feu des tireurs d’élite et dans le crépitement des mitrailleuses. Qui se soucie de leur protection ?
Malgré le soutien insuffisant d’une batterie de 120 à tracteurs automobiles, ils sont accablés par un tir d’obus de gros calibre. Impossible de s’en protéger, tant les impacts sont denses. Les marmites tuent quatre ou cinq hommes par coup. Les marins doivent avancer parce qu’il faut s’emparer à tout prix d’une grande ligne de réservoirs à pétrole. Des forteresses de béton armé, invisibles de loin, enfouies dans un creux en contrebas de la digue de l’Yser. Une position clé.
Les Bavarois y arrivent les premiers, s’y retranchent fortement, installent des nids de mitrailleuses. Il faut les en déloger. Cent volontaires français se précipitent à l’appel de l’amiral. Ils se glissent le long du talus de la digue, baïonnette au canon. Ces Bretons de vingt ans ont du cœur au ventre. Leurs officiers ont donné l’exemple, comme leurs camarades de Lorraine ou de la Marne. Sans commandement, sans trompettes, seuls devant les réservoirs, les marins se jettent à l’eau, pour prendre la forteresse à revers, par le fleuve. Ils émergent, gluants de vase, leurs armes trempées. Un corps à corps féroce s’engage avec les Bavarois. Les pertes sont immenses dans leurs rangs, mais les Français ne passent pas.
Soudain un obus de fort calibre touche un des réservoirs. Le pétrole flambe, l’incendie gagne toute la forteresse. Les fusiliers marins blessés hurlent dans la boue, se jettent dans l’eau visqueuse, recouverte de nappes de pétrole en feu, poursuivis par des tirs de mitrailleuses. Vont-ils périr grillés jusqu’au dernier ? Des renforts arrivent, les tirailleurs sénégalais de Grossetti, avec des chasseurs à pied. Les survivants au pompon rouge sont hissés à l’arrière, sur le dos des camarades.
Les Allemands aussi ont perdu beaucoup de monde dans le bourbier de Dixmude, où s’enlisent les hommes et les chevaux. Des jeunes, frais sortis des universités, formés à la hâte en huit semaines et promis au massacre. Le 24 octobre, la sécurité du front allié est de nouveau compromise par l’afflux de nouveaux renforts allemands. Ce qui reste des fusiliers marins et les Sénégalais de Grossetti devra tenir la ligne Dixmude-Nieuport, sans flancher, avec l’appui des Belges.
Grossetti, comme Ronarc’h, paie de sa personne, s’installe sur son pliant qui ne le quitte jamais au carrefour de Pervyse pour fanatiser ses tirailleurs. Ce maniaque de l’offensive est un courageux colérique, bien connu pour son obstination. Il a la baraka, disent les Marocains et les Noirs. Les balles pleuvent, il est épargné. Magie du chef. Les Sénégalais sont-ils aussi protégés des balles, grâce à la canne du sorcier ? Le commandant Pelletier, qui les commande, donne ses ordres à Brachot, des tirailleurs de la division d’Algérie, et à Frère-jean, de la division du Maroc. Les Noirs souffrent du froid, du gris du ciel, de la boue des tranchées. Un obus explose sur le poste de commandement. Il fait disparaître Pelletier. Frèrejean refuse de se faire évacuer. Il est atteint de blessures au visage et au ventre. Il prend aussitôt la tête des deux bataillons.
Les Sénégalais se tiennent bien au feu. Grossetti les lance en première ligne, où ils supportent les obus de 105. Ils préfèrent le feu au froid. Ils sont 1 300 à s’enterrer
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