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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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Les officiers n’y trouvaient rien à redire, manquant aussi d’eau potable. Les Feldgrau avaient rencontré les Français sur la Meuse, traversant des villages de Belges hostiles qui transportaient par force les blessés allemands « en laissant leurs jambes racler le sol ». Le général Hahne, qui commandait la brigade, n’avait pas empêché ses hommes de fusiller, « selon les lois de la guerre », les Belges suspects d’avoir aidé les Français et d’avoir tiré sur les officiers allemands [34] .
    Malgré les roulantes toujours proches des compagnies, les Allemands avaient souffert du feu français, des éclats des obus de 75 et comptaient leurs morts et leurs blessés dès les premiers affrontements. Ils n’avaient jamais assez de brancardiers pour les enlever. Les blessures à la tête n’étaient pas moins fréquentes que chez ceux d’en face, parce que le casque à pointe n’était pas en acier, mais en cuir bouilli, et qu’il protégeait à peine mieux que la casquette renforcée. Ludwig avait été écœuré maintes fois par ces hommes qui perdaient leurs cervelles.
    Ils avaient suivi la retraite des Français, étape par étape, et n’étaient pas moins épuisés qu’eux en arrivant sur la Marne. Le caporal maudissait « cette guerre atroce », quinze jours après son entrée en campagne. Le fusil pesait à son épaule, ses mains étaient gonflées, sa gorge sèche. Pas de vivres à chaparder. Les Français avaient déjà vidé les fermes abandonnées. Dans les bidons ni vin ni bière, « de l’eau épaisse et tiède ». Ils buvaient surtout du café de mauvaise qualité, servi par les fidèles cuistots des roulantes, qui ne lâchaient pas d’une semelle la troupe en marche, mais qui ne pouvaient lui offrir ni pain, ni riz, ni sel : les convois d’approvisionnement avaient le plus grand mal à se faufiler sur les routes encombrées par les colonnes dans les deux sens.
    Ludwig le Prussien allongeait le pas, pour tomber sur l’ennemi et régler l’affaire au plus vite. À un combat contre l’arrière-garde de l’armée Lanrezac, il avait gagné la croix de fer qu’il avait arborée une journée entière sur son uniforme. Y croyait-il encore ? Elle lui avait été donnée « au nom de S.M. l’Empereur », par le général commandant en chef, Moltke II lui-même. Dès les premiers combats, les récompenses pleuvaient, pour encourager le troupier. Elles seraient plus lentes à tomber du ciel français.
    Jamais de pain à manger. Les boulangers ne suivaient pas. Les Français se faisaient tuer dans des combats d’arrière-garde qui épuisaient aussi les troupes allemandes de contact. Ils n’avaient pas la musette et la gourde mieux garnies que celles des Feldgrau qui devaient partager leurs maigres ressources avec les prisonniers. Dans les villages de rencontre, Lugny, puis Amicourt, la compagnie allemande égrenait ses blessés.
    Renn avait livré la bataille de la Marne la gorge sèche et la dysenterie au ventre. Les marches interminables épuisaient de nouveau la troupe. Les hommes commençaient à ne plus pouvoir marcher de nuit. On devait relever les traînards vacillants, attendre les retardataires. Pour le repos, la paille des granges, pendant quelques heures. Même entraînées à la marche, les compagnies étaient à bout de souffle. Les officiers se querellaient pour les cantonnements, pestaient contre les retards du ravitaillement, tout comme ceux qui retraitaient devant eux, les pantalons rouges.
    *
    Les souffrances des deux armées étaient équivalentes. Elles n’en concevaient que plus vivement le désir de se mettre à l’abri, de faire la pause dans la guerre. Dernière armée de réserve de la bataille de la Marne, celle de Ludwig Renn avait la mission périlleuse de conduire les combats d’arrière-garde pour protéger la retraite, après avoir perdu beaucoup des siens dans la dernière phase de la bataille.
    Le capitaine de la compagnie, le commandant du bataillon étaient morts, la plupart des officiers blessés. Pour retarder les Français, le caporal devait creuser les premières tranchées, de simples points d’appui grattés à la bêche dans l’argile sèche, dure et brune, infracassable. On se tapissait dans le sable jaune, le temps de livrer un combat d’arrière-garde. Plus que quarante hommes par compagnie, et la retraite commençait, impitoyable. Avec le devoir d’arrêter les colonnes françaises d’attaque, sous le canon. Chacun

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