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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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commandé par un simple capitaine. Les officiers, comme les hommes, étaient morts. S’enfouir dans les fossés humides des bois de Sainte-Menehould était un paradis inconfortable pour ces hommes accablés, enfin à l’écart de la tuerie. Le 106 e de Genevoix avait aussi perdu beaucoup des siens. Il avait marché sans relâche à partir du 25 août, « les lourds souliers sonnant sur la route ». Il avait rencontré tous les fuyards de la bataille de Lorraine, participé à la retraite de septembre, « bivouaquant dans les seigles », en voyant, sur le bord de la route, les chevaux et les vaches agoniser dans les champs, tués par les shrapnells.
    Engagé dans la bataille de Lorraine, le 11 e bataillon de chasseurs à pied recruté dans la région de Langres a quitté les Vosges après la libération de Saint-Dié pour participer à la bataille de la Somme, une des étapes de la « course à la mer ». À partir du début de novembre, le bataillon est enterré, comme les biffins ses voisins, dans les lignes de l’Artois hâtivement creusées. Un répit pour tous ces hommes qui n’ont pas cessé de marcher. Ils s’étonnent que l’on ait « flanqué aux orties la guerre en rase campagne pour la troquer contre un produit nouveau ». Ils sont devant Cappy, et l’on n’accède à leur position que par des boyaux tracés en zigzag. Les nouveaux officiers remplacent ceux qui viennent d’être tués, sans que l’on informe toujours régulièrement l’arrière des pertes.
    Le chasseur à pied est indigné. « Un homme, il faut le reconnaître, a la valeur d’un matériel et équivaut à peu près, dans leur langage ou dans leurs ordres, à plusieurs rondins, ou à un cheval de frise », dit le hussard Coudray qui éclaire le bataillon encore juché sur son haridelle. On raye les morts « avec désinvolture » de la liste des vivants, sans trop se soucier de précision. Ainsi le commandement ignore le nom, la date et le lieu de la mort d’un camarade de Coudray. Il doit lui-même écrire à la mère pour l’informer, apprenant son adresse par une lettre décachetée expédiée à son fils. « Un tantinet de sentiment ne serait pas un luxe dans le cœur de ces jeunes et vieille badernes », commente aigrement Coudray.
    Les chasseurs découvrent la vie de tranchée, ils devinent la ligne ennemie, car, à cent mètres, on ne voit rien. Dans la brume, on distingue seulement des poteaux et des fils de fer barbelés. On sent les lignes grisâtres de l’ennemi tout proche, on les distingue à peine. Les chasseurs sont soulagés de ce repos inattendu comme les fantassins du 275 e . Plus de marches, plus d’attaques mal préparées ! Le colonel de Ligonnès explique pourquoi il trouve plus supportable la vie dans les tranchées, en dépit de leur inconfort. Il a perdu du monde, le 26 août, à la bataille de la Mortagne, une soixantaine d’hommes dont un officier. Depuis lors, il a dû sans cesse faire mouvement en Lorraine, participer à la bataille du Grand-Couronné, sans pouvoir s’abriter dans aucun retranchement. Il a perdu de nouveau des hommes à l’attaque d’un village lorrain, le 28 septembre, et encore le 30. Quand le régiment relève le 35 e colonial dans une tranchée bien construite, le 7 octobre, « après avoir pataugé pendant près de deux heures dans un terrain marécageux, par nuit noire », ses soldats respirent.
    Malgré les coups de fusil persistants qui ne tuent personne, « chacun s’ingénie à se créer un abri et une chambre de repos dans un trou creusé sous le parapet ». La nourriture est froide, mais elle est livrée régulièrement toutes les nuits. Les repos fréquents sont un ravissement pour les poilus. Dans le village de Rambucourt, ils dorment sur la paille sèche, mangent de la soupe chaude, et se lavent dans l’eau claire. C’est la vie de château. « De toute façon, conclut le soldat René du 309 e régiment de réservistes de Chaumont, nous sommes mieux que tous ceux qui sont dans le Nord et dans l’Aisne. »
    *
    Ils ne tardent pas à trouver le temps long, quand la guerre s’éternise, ponctuée d’attaques et de coups de main qui leur paraissent désormais mutiles, puisque les lignes sont fixées.
    Ils trouvent leur résidence en secteur triste et monotone sous la pluie, bientôt sous la neige et le gel. À quoi bon patauger des semaines dans ces trous humides et boueux de l’Artois ? La vraie guerre est terminée. Pourquoi prolonger ce

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