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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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que les chefs de l’arrière, aux moustaches bien cirées, ceux qui n’ont pas participé aux premières campagnes et qui viennent remplacer les morts, appellent déjà dans leur langage la « guerre d’usure » ?
    Car la guerre continue dans les tranchées, avec ses coups de main et ses bombardements. Au jour de Noël, on peut espérer un répit. Le pape Benoît XV, successeur de Pie X, vient enfin de s’exprimer, pour demander qu’à défaut d’engager des pourparlers de paix, l’on respecte au moins la trêve de Noël. Les vingt-cinq mille prêtres français envoyés au front hésitent. Doivent-ils suivre le souverain pontife ? Ce message de paix est fort critiqué dans les journaux où la France catholique fait aussi la guerre du droit, comme l’expliquent les curés en chaire. Rares sont les évêques ou prêtres français qui osent défendre la proposition du pape.
    Les Allemands ont installé une batterie de canons lourds à proximité de l’église de Thann. Les officiers ennemis semblent avoir conclu tacitement une trêve, puisqu’il est question pour les officiers français d’aller entendre la messe de minuit. L’état-major réagit violemment contre cette initiative : il n’est pas question de laisser les gradés abandonner leur poste pour se rendre à un office qui peut être interprété dans la presse allemande comme une manifestation pacifiste, un encouragement au pape. Des ordres partent pour censurer le message du pape dans les journaux français.
    Les fraternisations sont signalées, depuis novembre, sur toute la longueur du front. Les hommes croyaient pouvoir fêter Noël chez eux, ils sont déçus par les ordres d’attaque. Dorgelès entend les Allemands chanter des cantiques dans leurs tranchées. Il plante sur la hampe d’un petit drapeau blanc des journaux, des lettres destinées à l’ennemi. Un Allemand sans armes rampe pour prendre le courrier. Personne ne lui tire dessus. Le lendemain, il répond, il correspond. Ces échanges sont-ils tolérables ?
    Sur le front de l’Aisne, pendant la nuit de Noël, les hommes s’interpellent, d’une ligne à l’autre. Dans son régiment formé de gens du Nord, les soldats « font ducasse », ils mangent des huîtres, de la dinde et du camembert, chantent Minuit chrétien pendant que les Allemands entonnent O Tannenbaum.
    « Ben quoi, répond un de ces chanteurs français à qui Dorgelès impose silence, ils font la guerre comme nous !
    — Il est vrai, répond l’officier. Mais je pense qu’ils font la guerre chez nous et qu’on n’est pas chez eux. Je ne reprendrai la conversation que lorsqu’ils seront retournés dans leur Vaterland ! »
    Cette nuit-là, les soldats des deux camps ont échangé des cigarettes « et bientôt trinqué avec les Boches… Cinq cents hommes, Français et Boches, entre les deux tranchées, se tapant sur le ventre. Il en entra d’ivres morts à cinq heures du matin ».
    Le colonel minimise l’incident, n’en fait pas état, se borne à quelques sanctions. Sur la ligne du front, les points d’attaque sont nombreux ce jour-là. Genevoix doit partir à l’aube. Son capitaine balaie de son mépris les récits de fraternisation. Un cycliste endormi sur une crête se serait réveillé au petit jour, entouré d’Allemands. Ils l’auraient laissé rejoindre ses lignes. Des bobards ! Comme la « source entre les lignes, vers Vaux-les-Palameix ». Comme les Écossais qui jouent au football avec les Allemands. Deux corvées d’eau se retrouvent nez à nez. Elles échangent des sourires et s’en vont, les bouthéons [36] pleins. Et le café dégusté en commun, les Boches fournissant le jus, les Français le sucre et les gâteaux, légendes que tout cela, dit le capitaine.
    Il reste que les hommes en rêvent, même s’ils n’y croient guère, pour oublier la guerre et ses contraintes, comme pour donner à l’horreur le répit d’une ritournelle d’amitié. Noël n’a pas été la pause souhaitée. En Picardie, la guerre continue, de plus belle. Depuis le 23 décembre, les chasseurs à pied du 11 e bataillon attendent l’heure de l’assaut du mont Saint-Eloy, dans leurs boyaux trempés de boue. Ils doivent nettoyer à la grenade les tranchées adverses. Il n’est pas question de réveillonner. En Lorraine, il neige fort. Les soldats de Ligonnès ont entendu la messe dite par un prêtre sergent dans une chapelle ruinée, sur un autel de fortune. Il gèle à pierre fendre. Les

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