Les Poilus (La France sacrifiée)
cadeaux de Noël ? Des obus que Français et Allemands s’expédient à travers les lignes. Le sergent-aumônier n’a pas entendu le message du pape. Le pieux commandant non plus.
Quant au soldat René, dans son secteur calme des Vosges, il envoie des lettres à toute sa famille, souhaitant la fin de la guerre pour 1915. Personne ne s’attend à une paix proche. Le 26 au matin, le régiment doit prendre la tranchée dans un bois et le colonel a interdit tout réveillon, « à cause de nos camarades du Nord », dit-il.
Il faut se résigner à la vie de tranchée, envisager d’y passer l’hiver. Le caporal Renn est trop heureux d’être éloigné du front pour trouver le repos en changeant de besogne. Le voilà menuisier dans le village de Fromentin, où les hommes passent tous les soirs devant une ferme grillagée où se terrent deux jeunes femmes venues de Nancy. Il est occupé, dans un atelier, à fabriquer des caisses à munitions, des attelles et des écriteaux pour les tombes. À Jonchery-sur-Vesle, dans le camp d’en face, le cycliste Deverin voit des soldats ajuster des cercueils pour officiers, en bois verni. On profite du répit pour enterrer dignement les victimes de la campagne, les corps retrouvés et accumulés pêle-mêle dans des fosses à l’heure du combat. Les hommes de l’arrière ne trouvent guère le repos. Ils sont, trop souvent, transformés en fossoyeurs. La guerre finira-t-elle jamais ?
*
Les états-majors donnent des ordres pour que le moral des soldats reste en éveil, grâce à des opérations ponctuelles destinées à rendre plus efficace la ligne des tranchées. Les munitions manquent, à l’arrière.
Les Allemands eux-mêmes, si riches en minerais, cherchent partout des métaux rares pour leurs fabriques d’armement. Les stocks étaient insuffisants, parce que la cadence du feu exigeait des projectiles en plus grand nombre : quarante millions de balles d’infanterie étaient tirées tous les jours pendant la période de grandes opérations. L’industrie devait produire quotidiennement un demi-million d’obus, et trois cent cinquante nouveaux canons tous les mois. L’annexion des mines de fer de Briey ne pouvait donner de résultats immédiats, faute de main-d’œuvre et de transports. L’alimentation en armements devait marquer une pause.
Toute la France travaillait pour la guerre : même dans les petites villes du Midi, on tournait des obus. L’occupation allemande des dix départements français du Nord et du Nord-Est privait l’industrie de 64 % de la fonte, de 62 % de l’acier. Un grand nombre de hauts fourneaux étaient entre les mains de l’ennemi. Il fallait acheter les matières premières et les armements à l’étranger, et réduire provisoirement la consommation au front, donc rendre les défenses des tranchées plus efficaces.
Le lieutenant de Gaulle, de retour de l’hôpital où il a soigné des blessures reçues au pont de Dinant, s’étonne de trouver les tranchées de Pontavert si mal construites, à l’armée de Langle de Cary. Les hommes s’y accoutument à la guerre de forteresse, ils ont perdu l’habitude de marcher. Ils se croient en sécurité, mais, dans la tranchée, les armes et les munitions ne sont pas à l’abri des tirs de l’ennemi. Il est essentiel d’engager des travaux difficiles et de construire « de vrais fortins ».
Les Allemands donnent l’exemple. Leurs tranchées sont soigneusement entourées de réseaux de barbelés, les nids de mitrailleuses sont protégés dans des ouvrages coulés en béton. Ils transportent des rails pour étayer le toit des fortifications, construisent des abris pour l’infanterie en profondeur, avec des étages, où chacun peut trouver son emplacement de repos à l’abri du canon.
En Artois, les positions allemandes semblent inexpugnables. Elles ont été creusées nuit après nuit par les territoriaux et les fantassins de la VI e armée du prince Rupprecht de Bavière. La première position s’étale comme une toile d’araignée invisible sur une profondeur de deux cents mètres, décourageant tout assaut d’infanterie de ses multiples réseaux de barbelés. Des souterrains profonds donnent accès aux lignes. Une deuxième position, construite en bretelle, abrite les troupes de renforts dans des caches creusées sous terre. Une troisième position est indiscernable aux observateurs : les arbres récupérés, bétonnés, garnis d’échelles de corde ont été
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