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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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comprend pourquoi une troupe aussi bien fournie, mais aussi mal servie, se presse chez l’habitant ou dans les échoppes des mercantis pour améliorer l’ordinaire. Il est vrai que les colis arrivent de l’arrière à profusion : les Auvergnats reçoivent des châtaignes et les Bretons du far, les familles ne ménagent pas leurs soins pour envoyer au front les douceurs dont les soldats ont besoin : armagnac, cognac, chocolat, gâteaux secs, saucissons et jambons. Et ils ne manquent jamais de vin, de café et de gnôle. Le commandement y veille.
    *
    Outre le froid, les insectes et les rats, l’ennemi du poilu est l’ennui et l’absence de sommeil. Comment dormir en première ligne, sous la menace continuelle des coups de main et des bombardements uniquement destinées à entretenir le moral du combattant, à exiger de lui une vigilance permanente. Les Allemands racontent que les obus français tombent tous les jours à la même heure sur certaines parties du front : une routine qu’il faut intégrer à la vie quotidienne, comme celle des balles ajustées des tireurs d’élite, qui guettent les têtes des imprudents en haut des parapets.
    Impossible de trouver le sommeil dans les secteurs de sapes et de contre-sapes, en prêtant l’oreille au martèlement sourd des sapeurs travaillant à la lanterne, pour déposer les charges de dynamite qui feront sauter la position. Roland Dorgelès, mitrailleur héroïque, a raconté [39] l’angoisse de l’unité qui ne peut dormir, parce qu’elle attend l’explosion ; aussi son soulagement indicible d’être relevée par des camarades avant la catastrophe. Ces mines souterraines n’ont jamais permis de rectifier durablement une position. Mais leur effet psychologique sur les poilus était accablant.
    Pour « maintenir l’esprit offensif », le commandement s’employait à rectifier à son avantage la ligne du front, grâce aux explosions de mines, particulièrement fréquentes sur la ligne de l’Aisne et en Artois, où les sapeurs n’avaient pas trop de difficulté à creuser les « fourneaux » dans un sol ni trop dur, ni trop mou. Les ouvrages défensifs sautaient ainsi sur une longueur de vingt mètres, qui pouvait aller jusqu’à cent mètres. Outre les soldats du génie, les artilleurs installaient dans les tranchées des pièces à courte portée baptisées par les Français Crapouillot, un canon de 58 qui pouvait tirer, comme les Minenwerfer allemands, des torpilles à ailettes. Les « seaux à charbon », charges de 50 kilos de cheddite, étaient redoutés par les poilus pour leurs effets dévastateurs dans les lignes. Mais ils avaient le temps de les éviter car ils étaient bruyants et lents.
    Plus redoutables étaient les grenades tirées par les Granatenwerfer, ou balancées à bout de bras par des manches à bois. Les Français utilisaient au début les modèles sphériques oubliés depuis les guerres de l’Empire. Une instruction signée Joffre le jour de Noël recommandait l’emploi de grenades « lancées avec des moyens de fortune », la fronde par exemple, ou l’arbalète. Les sociétés d’arbalétriers sont nombreuses dans les villes du Nord. Pourquoi ne pourraient-elles pas projeter « des charges montées sur bâtons » jusqu’à quatre-vingts mètres ? Après beaucoup de tâtonnements, les Français avaient développé la fabrication des fusils à grenade VB, enfin efficaces sur courte distance. La généralisation, de part et d’autre, de ces armes de proximité devait rendre de plus en plus dangereux le séjour à la tranchée. Une offensive locale meurtrière pouvait déboucher à chaque instant.
    Les états-majors y travaillaient sans cesse. En décembre 1914, alors que le front s’était stabilisé et que le personnel politique manifestait dans les deux camps un certain flottement sur l’avenir de la guerre, Joffre et Falkenhayn s’ingéniaient à dynamiser leur troupe, en vue de l’engagement de vastes offensives, le dernier à l’est, vers la Russie, l’autre à l’ouest, sur la Somme. Les notes de Joffre indiquent à partir du début du mois qu’il se soucie de l’enlèvement du front, à destination du front de l’Est, de nombreuses unités allemandes. Les trains sont comptés par les espions dans les gares de Liège et de Bruxelles, de Lille et de Lens. Plus de cent cinquante trains rien qu’à Liège. La décision de prendre l’offensive en Champagne vers le 15 février a déjà été prise,

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