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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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s’enfermer dans sa
chambre, refusant qu’aucune dame de parage la suivît.
    Ce fut là qu’Eudeline, la première
lingère, entrant pour préparer le lit, la trouva deux heures plus tard, assise
auprès d’une fenêtre derrière laquelle la nuit était tombée.
    — Comment, Madame,
s’écria-t-elle, on vous a laissée sans lumière ! Je vais appeler !
    — Non, non, je ne veux
personne, dit faiblement Clémence.
    La lingère aviva le feu qui se
mourait, plongea dans les braises une branche résineuse et s’en servit pour
allumer un cierge planté sur un pied de fer.
    — Oh ! Madame ! Vous
pleurez ? dit-elle. Vous a-t-on fait peine ?
    La reine s’essuya les yeux.
    — Un mauvais sentiment me
tourmente l’âme, dit-elle brusquement. Je suis jalouse.
    Eudeline la regarda avec surprise.
    — Vous, Madame, jalouse ?
Mais quelle raison auriez-vous de l’être ? Je suis bien certaine que notre
Sire Louis ne vous fait pas de tromperie, ni n’en a même l’idée.
    — Je suis jalouse de Madame de
Poitiers, reprit Clémence. Je suis envieuse d’elle, qui va avoir un enfant,
alors que moi je n’en attends point. Oh ! J’en suis bien aise pour
elle ; mais je ne savais pas que le bonheur d’autrui pouvait blesser si
fort.
    — Ah ! Certes, Madame,
cela peut causer grande douleur, le bonheur des autres !
    Eudeline avait dit cela d’une
curieuse manière, non pas comme une servante qui approuve les paroles de sa
maîtresse, mais comme une femme qui a souffert le même mal, et le comprend. Le
ton n’échappa point à Clémence.
    — N’as-tu pas d’enfant, toi non
plus ? demanda-t-elle.
    — Si fait, Madame, si fait,
j’ai une fille qui porte mon nom et qui vient d’atteindre ses dix ans.
    Elle se détourna et commença de
s’affairer autour du lit, rabattant les couvertures de brocart et de menu-vair.
    — Tu es depuis longtemps
lingère en ce château ? poursuivit Clémence.
    — Depuis le printemps, juste
avant votre venue. Jusque-là, j’étais au palais de la Cité, où je tenais le
linge de notre Sire Louis, après avoir tenu celui de son père, le roi Philippe,
pendant dix ans.
    Un silence se fit, où l’on
n’entendit plus que la main de la lingère battant les oreillers.
    « Elle connaît à coup sûr tous
les secrets de cette maison… et de ses lits, se disait la reine. Mais non, je
ne lui demanderai rien, je ne l’interrogerai pas. Il est mal de faire parler
les servantes… Ce n’est pas digne de moi. »
    Mais qui donc pouvait la renseigner
sinon justement une servante, sinon l’un de ces êtres qui partagent l’intimité
des rois sans en partager le pouvoir ? Jamais, aux princes de la famille,
elle n’aurait l’audace de poser la question qui lui brûlait l’esprit, depuis sa
conversation avec Charles de Valois ; d’ailleurs lui donneraient-ils une
réponse honnête ? Des hautes dames de la cour, aucune n’avait vraiment sa
confiance, parce qu’aucune vraiment n’était son amie. Clémence se sentait
l’étrangère que l’on flatte de vaines louanges, mais que l’on observe, que l’on
guette, et dont la moindre faute, la moindre faiblesse ne sera pas pardonnée.
Aussi ne pouvait-elle se permettre d’abandon qu’auprès des servantes. Eudeline
particulièrement lui semblait rassurante. Le regard droit, le maintien simple,
les gestes appliqués et tranquilles, la première lingère se montrait de jour en
jour plus attentive, et ses prévenances étaient sans ostentation.
    Clémence se décida.
    — Est-il vrai, demanda-t-elle,
que la petite Madame de Navarre, que l’on tient loin de la cour et que je n’ai
vue qu’une fois, ne soit pas de mon époux ?
    Et en même temps, elle se
disait : « N’aurais-je pas dû être avertie plus tôt de ces secrets de
couronne ? Ma grand-mère aurait dû s’informer davantage ; en vérité,
on m’a laissée venir à ce mariage en ignorant bien des choses. »
    — Bah ! Madame… répondit
Eudeline en continuant de dresser les coussins, et comme si la question ne la
surprenait pas outre mesure… je crois que nul ne le sait, pas même notre Sire
Louis. Chacun dit sur cela ce qui l’arrange ; ceux qui affirment que
Madame de Navarre est la fille du roi ont intérêt à le faire, et pareillement ceux
qui tiennent pour la bâtardise. On en voit même, comme Monseigneur de Valois,
qui changent d’avis selon les mois, sur une chose où pourtant il n’y a qu’une
vérité. La seule personne dont on

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