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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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aurait pu tenir une certitude, qui était
Madame de Bourgogne, a maintenant la bouche pleine de terre…
    Eudeline s’interrompit et regarda
vers la reine.
    — Vous vous inquiétez, Madame,
de savoir si notre Sire le roi…
    Elle s’arrêta de nouveau, mais
Clémence l’encouragea des yeux.
    — Rassurez-vous, Madame, dit
Eudeline ; Monseigneur Louis n’est pas empêché d’avoir un héritier, comme
de méchantes langues le prétendent dans le royaume et même à la cour.
    — Sait-on… murmura Clémence.
    — Moi, je sais, répliqua
Eudeline lentement, et l’on a pris bien soin que je sois seule à le savoir.
    — Que veux-tu dire ?
    — Je veux dire le vrai, Madame,
parce que moi aussi j’ai un lourd secret. Sans doute devrais-je encore me
taire… Mais ce n’est pas offenser une dame telle que vous, de si haute
naissance et de si grande charité, que de vous avouer que ma fille est de
Monseigneur Louis.
    La reine contemplait Eudeline avec
un étonnement sans mesure. Que Louis ait eu une première épouse n’avait guère
posé à Clémence de problèmes personnels. Louis, comme tous les princes, avait
été marié selon les intérêts d’État. Un scandale, la prison, puis la mort
l’avaient séparé d’une femme infidèle. Clémence ne s’interrogeait pas sur
l’intimité ou les mésententes secrètes du couple. Aucune curiosité, aucune
représentation n’assaillaient sa pensée. Or voici que l’amour, l’amour non
conjugal, se dressait devant elle en la personne de cette belle femme rose et
blonde, à la trentaine plantureuse ; et Clémence se mettait à imaginer…
    Eudeline prit le silence de la reine
pour un blâme.
    — Ce n’est pas moi qui l’ai
voulu, Madame, je vous l’assure ; c’est lui qui y avait mis bien de
l’autorité. Et puis, il était si jeune, il n’avait point de discernement ;
une grande dame l’eût sans doute effarouché.
    D’un geste de la main, Clémence
signifia qu’elle ne souhaitait point d’autre explication.
    — Je veux voir ta fille.
    Une expression de crainte passa sur
les traits de la lingère.
    — Vous le pouvez, Madame, vous
le pouvez, bien sûr, puisque vous êtes la reine. Mais je vous demande de n’en
rien faire, car on saurait alors que je vous ai parlé. Elle ressemble tant à
son père que Monseigneur Louis, par crainte que sa vue ne vous blesse, l’a fait
enfermer dans un couvent juste avant que vous n’arriviez. Je ne la visite
qu’une fois le mois et, dès qu’elle sera en âge, elle sera cloîtrée.
    Les premières réactions de Clémence
étaient toujours généreuses. Elle oublia pour un moment son propre drame.
    — Mais pourquoi, dit-elle à
mi-voix, pourquoi cela ? Comment croyait-on qu’un tel acte pût me plaire,
et à quel genre de femmes les princes de France sont-ils donc accoutumés ?
Ainsi, ma pauvre Eudeline, c’est pour moi que l’on t’a arraché ta fille !
Je t’en demande bien grand pardon.
    — Oh ! Madame, répondit
Eudeline, je sais bien que cela ne vient pas de vous.
    — Cela ne vient pas de moi,
mais cela s’est fait à cause de moi, dit Clémence pensivement. Chacun de nous
n’est pas seulement comptable de ses mauvais agissements, mais aussi de tout le
mal dont il est l’occasion, même à son insu.
    — Et moi-même, Madame, reprit
Eudeline, moi-même qui étais première fille lingère du Palais, Monseigneur
Louis m’a envoyée ici, à Vincennes, dans une plus petite condition que celle
que j’avais à Paris. Nul n’a rien à dire contre les volontés du roi, mais c’est
vraiment bien peu de remerciements pour le silence que j’ai gardé. Sans doute,
Monseigneur Louis voulait-il me cacher moi aussi ; il ne pensait pas que
vous iriez préférer ce séjour des bois au grand palais de la Cité.
    Maintenant qu’elle avait commencé de
se confier, elle ne pouvait plus s’arrêter.
    — Je puis bien vous avouer,
poursuivit-elle, qu’à votre arrivée, je n’étais prête à vous servir que par
devoir, mais certainement point par plaisir. Il faut que vous soyez très noble
dame, et aussi bonne de cœur que vous êtes belle de visage, pour que je me sois
sentie gagnée d’affection pour vous. Vous ne savez point comme vous êtes aimée
des petites gens ; il faut entendre parler de la reine, aux cuisines, aux
écuries, aux buanderies ! C’est là, Madame, que vous avez des âmes
dévouées, bien plus que parmi les grands barons. Vous nous avez conquis le cœur
à tous,

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