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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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vain auprès du roi. Et vous saurez faire entendre sagesse à vos
amis afin qu’ils respectent nos conventions.
    Il les avait si bien manœuvrés
qu’ils partirent en le remerciant, comme s’ils avaient trouvé en lui un
défenseur. Ils reprirent leurs chevaux, franchirent les trois ponts-levis et
s’enfoncèrent dans la nuit.
    — Mon cher fils, dit Mahaut,
vous m’avez sauvée. Je n’aurais pas su montrer tant de patience.
    — Je vous ai gagné un répit de
quinze jours, dit Philippe en haussant les épaules. Les coutumes de Saint
Louis ! Ils commencent à me lasser, tous, avec les coutumes de Saint
Louis ! On croirait que mon père n’a jamais vécu. Faut-il donc toujours,
quand un grand roi a fait progresser le royaume, qu’il se trouve des sots pour
s’obstiner à revenir en arrière ? Et mon frère les encourage !
    — Ah ! quelle pitié,
Philippe, que vous ne soyez roi ! dit Mahaut.
    Philippe ne répondit pas ; il
regardait sa femme. Celle-ci, maintenant que ses frayeurs étaient dissipées et
qu’elle touchait au terme de tant de mois d’espérance, sentait soudain toute
force se retirer d’elle et luttait contre les larmes.
    Pour cacher son trouble, elle allait
à travers la pièce, reprenant contact avec les lieux de sa jeunesse. Mais
chaque objet reconnu augmentait son émotion. Elle touchait l’échiquier de jaspe
et calcédoine sur lequel elle avait appris à jouer.
    — Tu vois, rien n’est changé,
dit Mahaut.
    — Non, rien n’est changé,
répéta Jeanne, la gorge serrée.
    Elle se détourna vers la librairie,
l’une des plus riches du royaume, en dehors des librairies de monastères, et
qui contenait douze volumes. Jeanne caressa du doigt les reliures… les
Enfances d’Ogier, la Bible en français , la Vie des Saints, le
Roman de Renart, le Roman de Tristan … Elle avait tant de fois regardé, en
compagnie de sa sœur Blanche, les belles enluminures peintes sur les feuilles
de parchemin ! Et l’une des dames de Mahaut leur faisait la lecture.
    — Celui-ci, tu le connaissais…
oui, je l’avais déjà acheté, dit Mahaut en montrant le Roman de la violette .
    Elle cherchait à dissiper la gêne
qui les gagnait tous trois.
    À ce moment, le nain de Mahaut,
qu’on appelait Jeannot le Follet, entra, tenant le cheval de bois sur lequel il
était censé caracoler à travers la demeure. Âgé de plus de quarante ans, il
avait une tête large avec de gros yeux de chien et un petit nez camus. Il
arrivait tout juste à la hauteur des tables ; on le vêtait d’une robe
brodée de « bestelettes ».
    Lorsqu’il aperçut Jeanne, il eut un
grand saisissement ; sa bouche s’ouvrit, mais sans rien prononcer ;
et au lieu d’avancer en faisant des cabrioles comme c’était son devoir, il
courut précipitamment vers la jeune femme et s’aplatit au sol pour lui baiser
les pieds.
    La résistance de Jeanne, son
contrôle sur elle-même, cédèrent d’un coup. Brusquement, elle se mit à
sangloter, se tourna vers le comte de Poitiers, vit qu’il lui souriait, et se
jeta dans ses bras en balbutiant :
    — Philippe !…
Philippe !… Enfin, je vous ai retrouvé !
    La dure comtesse Mahaut éprouva un
petit pincement au cœur parce que sa fille s’était élancée vers son mari, et non
vers elle, pour pleurer de bonheur.
    « Mais que souhaitais-je
d’autre ? pensa Mahaut. Allons, c’est cela le plus important, j’ai
réussi. »
    — Philippe, votre femme est
lasse, dit-elle. Conduisez-la dans vos appartements. On vous y montera votre
souper.
    Et comme ils passaient près d’elle,
elle ajouta, plus bas :
    — Je vous avais bien dit
qu’elle vous aimait.
    Elle les contempla tandis qu’ils
passaient la porte. Puis elle fit signe à Béatrice d’Hirson de les suivre,
discrètement.
    Plus tard, dans la nuit, alors que
la comtesse Mahaut, pour réparer ses fatigues, avalait au lit son sixième et
dernier repas, Béatrice entra, un demi-sourire aux lèvres.
    — Alors ? dit Mahaut.
    — Alors, Madame, le philtre a
bien eu l’effet que nous en attendions. À présent, ils dorment.
    Mahaut se renversa un peu sur ses
oreillers.
    — Dieu soit loué, dit-elle.
Nous avons refait le second couple du royaume.
     

IV

L’AMITIÉ D’UNE SERVANTE
    Et quelques semaines passèrent, qui
furent à peu près calmes pour l’Artois. Les parties adverses se retrouvèrent à
Arras, puis à Compiègne, et le roi promit de rendre son arbitrage avant la
Noël. Les alliés,

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