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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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et tenant un petit écrin de forme allongée.
    Il fut quelque peu surpris de voir
Clémence agenouillée sur son prie-Dieu. D’ordinaire, elle avait achevé ses
dévotions du soir avant qu’il entrât. Il lui fit un signe de la main qui
signifiait : « Ne vous mettez pas en peine pour moi, achevez en
paix…», Et il demeura à l’autre bout de la chambre, tournant l’écrin dans ses
doigts.
    Les minutes passaient ; il alla
prendre une dragée dans une coupe posée auprès du lit, et la croqua. Clémence
était toujours agenouillée. Louis s’approcha d’elle, et s’aperçut qu’elle ne
priait pas. Elle le regardait.
    — Voyez, ma mie, dit-il, voyez
la surprise que j’ai pour vous. Oh ! Ce n’est pas un bijou, c’est plutôt
une rareté, une trouvaille d’orfèvre. Voyez…
    Il ouvrit l’écrin, en sortit un long
objet brillant, à deux pointes. Clémence, sur son prie-Dieu, eut un mouvement
de recul.
    — Eh ! ma mie !
s’écria Louis en riant, n’ayez point peur, cela n’est pas fait pour
blesser ! C’est une petite fourche à manger les poires. Voyez comme le
travail en est habile.
    Sur le bois du prie-Dieu il posa une
fourchette à deux fourcherons d’acier fort aigus sortant d’un manche d’ivoire
et d’or ciselé.
    La reine vraiment ne semblait pas
témoigner grand intérêt pour l’objet, ni bien en apprécier la nouveauté. Louis
se sentit déçu.
    — Je l’ai commandée
spécialement par Tolomei, à un orfèvre de Florence. Il paraît qu’il n’existe
que cinq de ces fourchettes dans le monde, et j’ai voulu que vous en ayez une,
afin de ne point tacher vos jolis doigts quand vous mangez les fruits. C’est
bien un objet de dame ; jamais les hommes n’oseraient ni ne sauraient se
servir d’un si précieux outil, sinon mon beau-frère d’Angleterre qui, m’a-t-on
dit, en possède un et ne craint point la risée en l’utilisant à table.
    Il pensait, par ces derniers mots,
avoir fait montre d’esprit, et il attendait un sourire. Mais Clémence n’avait
pas bougé du prie-Dieu et continuait de regarder son mari fixement. Jamais elle
n’avait été plus belle ; ses longs cheveux dorés lui tombaient jusqu’aux
reins.
    Louis enchaîna :
    — Ah ! Messer Tolomei m’a
justement appris que son jeune neveu, que j’avais envoyé avec Bouville pour
vous quérir à Naples, se trouve guéri ; il va bientôt reprendre le chemin
de Paris ; en chaque lettre il parle à son oncle de vos bontés à son
endroit.
    Il n’obtint pas de réponse.
    « Mais qu’a-t-elle donc ?
se demanda-t-il ; elle aurait pu au moins me dire un mot de merci. »
Avec toute autre personne que Clémence, il se fût déjà mis en colère ;
mais il ne se résignait pas à voir son bonheur si vite terni par une scène de
ménage. Il prit sur lui et fit une nouvelle tentative.
    — Je crois bien, cette fois,
que les affaires d’Artois vont être réglées, dit-il. Les choses se présentent
de bonne manière. L’entrevue de Compiègne, à laquelle vous m’avez si doucement
accompagné, a eu les résultats que j’attendais et je vais bientôt rendre mon arbitrage.
Tout s’apaise, lorsque vous êtes auprès de moi.
    — Louis, dit brusquement
Clémence, de quelle manière est morte votre première épouse ?
    Louis se pencha en avant, comme s’il
avait reçu un coup au milieu du corps, et la contempla un moment, stupéfait.
    — Marguerite est morte… elle
est morte, répondit-il en agitant les mains… d’une fièvre de poitrine qui l’a
étouffée, à ce qu’on m’a dit.
    — Louis, pouvez-vous jurer
devant Dieu…
    Il l’interrompit, haussant le ton.
    — Que voulez-vous que je
jure ? Je n’ai rien à jurer. Où voulez-vous en venir ? Que
voulez-vous savoir ? Je vous ai dit ce que je vous ai dit et je vous prie
de vous en contenter ; vous n’avez rien à connaître de plus.
    Il se mit à parcourir la chambre,
les pieds en canard. À l’échancrure de sa robe de nuit, la base de son cou
avait rougi ; ses gros yeux luisaient d’un inquiétant scintillement.
    — Je ne veux pas, cria-t-il, je
ne veux pas que l’on me parle d’elle ! Jamais ! Et vous moins que
tout autre. Je vous interdis, Clémence, de jamais rappeler devant moi le nom de
Marguerite…
    Il fut interrompu par une quinte de
toux.
    — Pouvez-vous me jurer devant
Dieu, répéta Clémence avec détermination, pouvez-vous me jurer que votre
volonté ne fut pour rien dans son trépas ?
    La colère,

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