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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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provisoirement apaisés, rentrèrent en leurs châteaux sombres.
    Les champs étaient noirs et déserts,
les brebis bêlaient au fond des bergeries. Les aubes de décembre, fumeuses,
ressemblaient à des feux de bois vert.
    Au manoir de Vincennes, entouré par
la forêt, la reine Clémence découvrait l’hiver de France.
    L’après-midi, la reine brodait. Elle
avait entrepris une grande nappe d’autel qui figurait le paradis. Les élus s’y
promenaient sous un ciel uniformément bleu, parmi les citronniers et les
orangers ; paradis bien proche des jardins de Naples.
    « On n’est pas reine pour être
heureuse », pensait souvent Clémence, se répétant les paroles de sa
grand-mère Marie de Hongrie. Non qu’elle fût malheureuse à proprement
parler ; elle n’avait aucune raison de l’être. « Je suis injuste, se
disait-elle, de ne point remercier à tout instant le Créateur de ce qu’il m’a
donné. » Elle ne pouvait comprendre la raison d’une lassitude, d’une
mélancolie, d’un ennui qui, jour après jour, s’appesantissaient sur elle.
    N’était-elle pas environnée de mille
soins ? Six dames de parage, choisies parmi les plus nobles femmes du
royaume, et d’innombrables servantes se relayaient auprès d’elle pour exécuter
ses moindres désirs, prévenir ses moindres gestes, porter son missel, préparer
son aiguille, tenir son miroir, la coiffer, la couvrir d’un manteau sitôt que
la température fraîchissait… Plusieurs chevaucheurs avaient pour seule mission
de courir entre Naples et Vincennes, afin d’acheminer la correspondance qu’elle
échangeait avec sa grand-mère, avec son oncle le roi Robert et tous ses
parents.
    Clémence disposait de quatre
haquenées blanches, harnachées de freins d’argent et de rênes de soie tissées
de fils d’or ; et, pour les longs déplacements, on lui avait offert un
grand chariot de voyage si beau, si riche, avec ses roues flamboyantes comme
des soleils, que celui de la comtesse Mahaut, à côté, semblait tout juste un
char à foin.
    Louis n’était-il pas le meilleur
époux de la terre ?
    Parce que Clémence avait dit en
visitant Vincennes que ce château lui plaisait et qu’elle aimerait y vivre,
Louis aussitôt avait décidé de s’y installer à demeure. De nombreux seigneurs,
imitant le roi, s’organisaient résidence dans les parages. Et Clémence, qui
n’avait pas imaginé ce que serait l’hiver à Vincennes, n’osait avouer
maintenant qu’elle eût préféré regagner Paris.
    Vraiment, le roi la comblait. Il ne
se passait de jour qu’il ne lui portât un nouveau présent.
    — Je veux, ma mie, lui avait-il
dit, que vous soyez la dame la mieux pourvue du monde.
    Mais avait-elle besoin de trois
couronnes d’or, l’une incrustée de dix gros rubis balais, l’autre de quatre
grandes émeraudes, de seize petites et de quatre-vingts perles, et la troisième
avec encore des perles, encore des émeraudes, encore des rubis ?
    Pour sa table, Louis lui avait
acheté douze hanaps de vermeil émaillés, aux armes de France et de Hongrie. Et
parce qu’elle était pieuse et qu’il admirait fort sa dévotion, il lui avait
offert un reliquaire, d’un prix de huit cents livres, et contenant un fragment
de la Vraie Croix. C’eût été décourager tant de bon vouloir que de dire à son
époux qu’on pouvait aussi bien faire sa prière au milieu d’un jardin, et que le
plus bel ostensoir du monde, en dépit de tout l’art des orfèvres et de toute la
fortune des rois, c’était encore le soleil brillant dans un ciel bleu au-dessus
de la mer.
    Le mois précédent, Louis lui avait
fait don de terres qu’elle irait visiter à une meilleure saison, les maisons et
manoirs de Mainneville, Hébécourt, Saint-Denis de Fermans, Wardes et Dampierre,
les forêts de Lyons et de Bray [13] .
    — Pourquoi, mon doux seigneur,
lui avait-elle demandé, vous déposséder de tant de biens en ma faveur, puisque
de toute manière, je ne suis que votre servante, et n’en puis profiter qu’à
travers vous ?
    — Je ne m’en dépossède point,
avait répondu Louis. Toutes ces seigneuries appartenaient à Marigny, à qui par
jugement je les ai reprises, et j’en puis disposer comme il me plaît.
    En dépit de la répugnance qu’elle
avait à hériter les biens d’un pendu, pouvait-elle les refuser alors qu’ils lui
étaient présentés comme dons d’amour, et que cet amour, le roi tenait à le
proclamer dans l’acte même de donation

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