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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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et même le mien qui vous était le plus fermé ; vous n’avez pas
maintenant de servante plus attachée que moi, acheva Eudeline en saisissant la
main de la reine pour y poser les lèvres.
    — Ta fille te sera rendue, dit
Clémence, et je la protégerai. J’en veux parler au roi.
    — N’en faites rien, Madame, je
vous en prie, s’écria Eudeline.
    — Le roi me comble de cadeaux
que je ne souhaite pas ; il peut bien m’en accorder un qui me
plaise !
    — Non, non, je vous en supplie,
n’en faites rien, répéta Eudeline. J’aime mieux voir ma fille sous le voile que
de la voir sous terre.
    Clémence, pour la première fois
depuis le début de l’entretien, eut un sourire, presque un rire.
    — Les gens de ta condition, en
France, ont-ils donc si peur du roi ? Ou bien est-ce le souvenir du roi
Philippe, qu’on disait être sans merci, qui pèse encore sur vous ?
    Si Eudeline éprouvait une véritable
affection pour la reine, elle n’en gardait pas moins au Hutin une solide
rancune ; l’occasion était belle de satisfaire à la fois ces deux
sentiments.
    — Vous ne connaissez pas encore
Monseigneur Louis comme chacun le connaît ici ; il ne vous a pas encore
montré le revers de son âme. Personne n’a oublié, dit-elle en baissant la voix,
que notre sire Louis a fait tourmenter les serviteurs de son hôtel, après le
procès de Madame Marguerite, et que huit cadavres, tout mutilés et brisés, ont
été repêchés au pied de la tour de Nesle. Ils y ont été poussés par le hasard,
pensez-vous ? Je n’aimerais pas que le hasard nous poussât, ma fille et
moi, du même côté.
    — Ce sont là commérages que
font circuler les ennemis du roi…
    Mais en même temps qu’elle
prononçait ces paroles, Clémence se rappelait les allusions du cardinal Duèze,
en Avignon. « Aurais-je épousé un cruel ? » se demandait-elle.
    — J’ai regret, si j’ai trop
parlé, reprit Eudeline. Dieu veuille que vous n’ayez rien à apprendre de pire,
et que votre grande bonté vous laisse en ignorance.
    — Quel est ce pire que je
pourrais apprendre ?… Cela touche-t-il à la fin de Madame Marguerite ?…
    Eudeline haussa tristement les
épaules.
    — Vous êtes la seule à la cour,
Madame, pour qui la chose fasse un doute. Si vous n’êtes pas encore informée,
c’est que d’aucuns guettent un méchant moment, peut-être, pour vous mieux
nuire. Il l’a fait étouffer, on le sait bien. Autour de Château-Gaillard, on ne
se prive point de le dire… Mais à vous connaître on finit par approuver le roi.
    — Mon Dieu, mon Dieu, est-ce
possible… est-ce possible qu’on ait tué pour m’épouser ! gémit Clémence en
se cachant le visage dans les mains.
    — Ah ! Ne vous remettez
pas à pleurer, Madame, dit Eudeline. Ce sera bientôt l’heure du souper, et vous
n’y pouvez paraître ainsi. Il faut vous rafraîchir le visage.
    Elle alla chercher un bassin d’eau
fraîche et un miroir, pressa un linge mouillé sur les joues de la reine, lui
rattacha une tresse qui s’était défaite. Elle avait une grande douceur de
gestes, et une sorte de tendresse protectrice.
    Un moment les visages des deux
femmes apparurent côte à côte dans le miroir, deux visages aux mêmes teintes
blondes et dorées, aux mêmes yeux larges et bleus.
    — Tu sais que nous nous
ressemblons, dit la reine.
    — C’est bien le plus beau
compliment qu’on m’ait jamais fait, et je voudrais fort que ce fût vrai,
répondit Eudeline.
    Comme leur émotion à toutes les deux
était profonde, et qu’elles avaient un égal besoin d’amitié, le même mouvement
les poussa l’une vers l’autre, et elles se tinrent un instant embrassées.
     

V

LA FOURCHETTE ET LE PRIE-DIEU
    Le menton levé, le sourire aux
lèvres, et vêtu d’une robe doublée de fourrure par-dessus sa chemise de nuit,
Louis X entra dans la chambre.
    Durant le souper, il avait trouvé la
reine étrangement morose, distante, presque absente, ne suivant les propos
échangés qu’avec retard, et répondant à peine aux paroles qu’on lui
adressait ; mais il ne s’en était pas autrement inquiété. « Les
femmes sont sujettes aux sautes d’humeur, se disait-il, et ce présent que je
lui apporte saura bien lui rendre la gaieté. » Car le Hutin était de ces
maris sans imagination, qui ont petite opinion des femmes et pensent que toutes
choses s’arrangent par un cadeau. Si bien qu’il arrivait, se faisant aussi
gracieux que possible,

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