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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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absolue, et si les astres ne mentent jamais, notre
entendement, lui, peut errer en les observant. Toutefois, je ne vois pas que
vos inquiétudes soient fondées, et rien ne paraît empêcher que vous ayez une
descendance. Le ciel de votre naissance vous est plutôt favorable en cela, et
les astres y sont disposés de bonne façon pour la paternité. En effet, Jupiter
s’y montre à la pointe du Cancer, ce qui est signe de fécondité, et ce Jupiter
de votre naissance, de plus, forme trigone d’amitié avec la Lune et la planète
Mercure. Vous ne devez donc pas renoncer à l’espérance d’engendrer, loin de là.
En revanche, l’opposition que la Lune fait à Mars n’annonce point à l’enfant
une vie exempte de difficultés ; il faudra l’entourer, dès ses premiers
jours, de soins bien vigilants et de serviteurs fidèles.
    Maître Martin s’était acquis une
belle notoriété en annonçant longtemps à l’avance, encore qu’à mots fort
couverts, la mort de Philippe le Bel comme devant coïncider avec l’éclipse de
novembre 1314. Il avait écrit : « Un puissant monarque d’Occident…»,
se gardant bien de préciser. Louis X tenait depuis lors maître Martin en
grande estime.
    — Votre avis m’est précieux,
maître Martin, et vos paroles me confortent. Avez-vous pu discerner les moments
les plus favorables à concevoir les héritiers que je souhaite ?
    Toujours maître Martin s’exprimait
avec lenteur, pour se donner le temps de trouver à ses réponses le tour le plus
encourageant.
    — Ne parlons que du premier,
Sire, car pour les autres je ne pourrais me prononcer avec assez d’assurance…
Il me manque l’heure de naissance de la reine, qu’elle ne sait point et que
personne n’a pu me fournir ; mais je ne pense pas commettre une grande
erreur en vous disant qu’avant l’entrée du soleil dans le Sagittaire, un enfant
vous sera né, ce qui placerait le temps de la conception environ la mi-février.
    — Il convient donc de me hâter
d’accomplir à Saint-Jean d’Amiens le pèlerinage que la reine souhaite tant. Et
quand pensez-vous, maître Martin, que je doive reprendre ma guerre contre les
Flamands ?
    — Je crois qu’il vous faut
suivre en cela, Sire, les inspirations de votre sagesse. Avez-vous fait le
choix d’une date ?
    — Je compte réunir l’ost avant
l’août prochain.
    Le regard rêveur de maître Martin
resta un instant en suspens sur le roi, sur sa couronne, sur la main de justice
qui semblait l’embarrasser et qu’il portait sur l’épaule comme un jardinier sa
bêche.
    — Avant le mois d’août, il y
aura juin à franchir… murmura l’astrologue. Puis, plus haut :
    — À l’août prochain, Sire, il
se peut que les Flamands aient cessé de vous inquiéter.
    — Je le crois volontiers,
s’écria le Hutin ; car je leur ai inspiré grand-peur l’été passé, et ils
viendront sans doute à merci sans bataille, avant la saison des chevauchées.
    C’est une étrange impression que de
regarder un homme avec la quasi-certitude qu’avant six mois il sera mort, et de
l’entendre faire des projets pour un avenir qu’il ne verra probablement pas.
« À moins qu’il ne dure jusqu’à novembre…» se disait Martin. Car, en
dehors de la redoutable échéance de juin, l’astrologue avait décelé un second
aspect funeste, une méchante direction de Saturne à vingt-sept ans et
quarante-quatre jours de la naissance de Louis. « Deux conjonctions de fatalité,
à six mois d’intervalle. Si vraiment il engendre, la seconde se rencontrerait
alors avec la naissance de l’enfant… De toute manière, ce ne sont pas choses à
dire. »
    Pourtant, avant de partir, la paume
garnie d’une bourse que le roi venait de lui tendre, maître Martin se sentit
tenu d’ajouter :
    — Sire, un mot encore pour la
sauvegarde de votre santé Défiez-vous des venins, surtout au déclin du
printemps.
    — Faut-il m’abstenir des
mousserons, giroles et morilles ? demanda Louis. J’en suis friand, mais il
est vrai qu’ils m’ont causé parfois des dérangements d’entrailles.
    Puis soudain soucieux :
    — Venin… Entendez-vous les
morsures de vipère ?
    — Non, Sire, je parle bien des
nourritures de bouche.
    — Ah bien… Je vous sais gré du
conseil, maître Martin.
    Aussitôt, tandis qu’il se dirigeait
vers la Chambre de justice, Louis prescrivit à son grand chambellan qu’on
redoublât de surveillance aux cuisines, qu’on s’assurât de

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