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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pénitence,
ma mie ; nous jeûnerons trois fois la semaine si vous le voulez. Venez,
j’ai trop d’impatience de vous !
    Elle se dégagea, et, comme il
voulait la retenir de force, une couture de la robe de nuit céda. Le bruit de
la déchirure effraya Clémence qui, couvrant de la main son épaule dénudée,
courut se réfugier derrière son prie-Dieu. Ce mouvement de crainte déclencha
chez le Hutin un nouvel accès de colère.
    — Mais qu’avez-vous, à la
parfin, s’écria-t-il, et que faut-il donc pour vous complaire ?
    — Je ne peux plus vous
appartenir avant que d’être allée avec vous en pèlerinage. Nous irons à
pied ; nous saurons ensuite si Dieu nous pardonne en nous accordant un
enfant.
    — Le meilleur pèlerinage pour
obtenir un enfant, c’est ici qu’il se fait ! dit Louis en désignant le
lit.
    — Ah ! Ne vous moquez
point des choses de la religion, répondit Clémence ; ce n’est pas ainsi
que vous pourrez me convaincre.
    — Votre religion est bien
étrange, qui vous commande de vous refuser à votre époux. Ne vous a-t-on jamais
instruite d’un devoir auquel vous ne devez pas vous dérober ?
    — Louis, vous ne me comprenez
pas !
    — Si, je vous comprends !
Je comprends que vous vous refusez à moi. Je comprends que je ne vous plais
point, que vous en usez avec moi comme Marguerite…
    Il avança, le regard dirigé,
sembla-t-il à Clémence, vers la fourchette aux deux longues pointes acérées qui
était toujours là, posée sur le rebord du prie-Dieu. Elle avança la main pour
se saisir de l’objet avant qu’il ne le fît lui-même. Or, il ne remarqua même
pas son geste ; il ne portait attention à rien qu’à la grande panique, au
grand désespoir qui le submergeaient.
    Louis n’était assuré de ses facultés
d’homme qu’auprès d’un corps docile. Un refus lui ôtait tout moyen ; les
drames de son premier mariage n’avaient pas eu d’autre origine. Si cette
infirmité venait à le reprendre ? Il n’est pire peine que l’incapacité à
posséder qui l’on désire le plus. Comment pouvait-il expliquer à Clémence que,
pour lui, le châtiment avait précédé le crime ? Il était terrifié à l’idée
que l’engrenage du refus, de l’impuissance et de la haine allait se remettre en
marche. Il prononça, comme pour lui-même :
    — Suis-je donc damné, suis-je
donc maudit, de ne pouvoir être aimé de qui j’aime ?
    Les paupières closes, et toute
tremblante encore, Clémence pensait de son côté : « J’ai donc cru
qu’il songeait à me tuer ? »
    Cédant à une vague honte autant qu’à
la pitié, elle abandonna son prie-Dieu et dit :
    — C’est bien ; je veux
faire comme il vous plaît.
    Elle alla pour éteindre les
chandelles.
    — Laissez brûler les cierges,
dit le Hutin.
    — Vraiment, Louis, vous voulez…
    — Laissez choir vos vêtements.
    Décidée maintenant à toute soumission,
elle se dévêtit entièrement, avec le sentiment d’obéir au démon. Si Louis était
damné, elle partagerait la damnation. Il entraîna vers le lit ce beau corps aux
ombres modelées, sur lequel il avait de nouveau tout pouvoir. Pour remercier
Clémence, il lui murmura :
    — Je vous promets, ma mie, je
vous promets de faire libérer messire de Presles, et tous les légistes de mon
père. Au fond, vous voulez toujours les mêmes choses que mon frère
Philippe !
    Clémence pensa que sa complaisance
serait l’occasion de quelque bien et, qu’à défaut de pénitence, des prisonniers
seraient libérés.
    Or, cette nuit-là, un grand cri
s’éleva vers le plafond de la chambre royale. Mariée depuis cinq mois, la reine
Clémence venait de découvrir qu’on n’était pas reine seulement pour être
malheureuse, et que les portes du mariage pouvaient s’ouvrir sur des
éblouissements inconnus.
    Elle resta de longues minutes
épuisée, haletante, émerveillée, et comme si la mer de son rivage natal l’avait
déposée sur quelque plage dorée. Ce fut elle qui chercha l’épaule du roi pour
s’y endormir, tandis que Louis, éperdu de reconnaissance pour ce plaisir qu’il
venait de dispenser, et se sentant plus roi que le jour de son sacre,
connaissait sa première nuit d’insomnie qui ne fût pas traversée par la hantise
de la mort.
    Mais cette félicité fut, hélas, sans
seconde. Dès le lendemain, sans le secours d’aucun confesseur, Clémence associa
indissolublement le plaisir au péché. Elle était de nature plus

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