Les Poisons de la couronne
n’employer que des
denrées de provenance connue, et qu’on fit éprouver tous les mets deux fois au lieu
d’une avant de les lui servir.
Puis il entra dans la grand-salle où
l’assistance s’était levée et attendait qu’il fût installé sous le dais.
Bien assis, les pans de son manteau
ramenés sur les genoux, et la main de justice un peu inclinée dans la saignée
du bras, Louis se sentit pareil, un instant, au Seigneur du ciel sur les
vitraux d’églises. À sa droite et à sa gauche, ses barons bellement vêtus
inclinaient la tête dévotement. Il y avait quand même des moments de
satisfaction dans le métier de roi, et Louis faisait durer son plaisir.
« Voila, pensait-il, je vais
rendre ma sentence et chacun va s’y conformer, et je vais rétablir la paix et
la bonne harmonie parmi mes sujets. »
Devant lui se tenaient les deux
partis entre lesquels il allait rendre arbitrage. D’un côté, la comtesse
Mahaut, dépassant de la tête et de la couronne ses conseillers groupés autour
d’elle. De l’autre, la délégation des « alliés » d’Artois. Il y avait
chez ces derniers un certain manque d’unité dans l’apparence, car chacun avait
mis ses meilleurs vêtements qui n’étaient pas toujours à la dernière mode. Ces
petits seigneurs sentaient leur province, Souastre et Caumont s’étaient
affublés comme pour paraître en tournoi, et semblaient un peu embarrassés de
leurs heaumes qu’ils portaient à la main, devant la poitrine.
Les grands barons désignés pour
assister le roi avaient été sagement choisis en nombre égal parmi les amis des
deux camps. Charles de Valois et son fils Philippe, Charles de la Marche, Louis
de Clermont, Beraud de Mercœur, et surtout Robert d’Artois lui-même,
constituaient le soutien des alliés. On savait que de l’autre part Philippe de
Poitiers, Louis d’Évreux, Henri de Sully, les comtes de Boulogne, de Savoie, de
Forez, et messire Miles de Noyers donnaient appui à Mahaut.
— In nomme patris et filis.
Les assistants se regardèrent,
surpris. C’était la première fois que le roi ouvrait séance par une prière, et
appelait sur ces décisions les lumières divines.
— On nous l’a changé, souffla
Robert d’Artois à Philippe de Valois, le voilà maintenant qui se prend pour
évêque en chaire.
— Mes bien chers frères, mes
bien chers oncles, mes bons cousins, mes bien-aimés vassaux, nous avons le
désir très grand, et le devoir, par commission de Dieu, de maintenir la paix en
notre royaume et de condamner la division entre nos sujets.
Louis, qui souvent bredouillait en
public, s’exprimait cette fois d’une parole lente, mais claire : vraiment,
il se sentait inspiré, et l’on se demandait, à l’écouter ce jour-là, si son
véritable destin n’eût pas été de faire un bon vicaire en un modeste bailliage.
Il se tourna d’abord vers la
comtesse Mahaut, et la pria de suivre ses conseils. Mahaut répondit :
— Sire, je ne désire rien tant
que la concorde et souhaite pouvoir en tout vous complaire.
Le roi adressa ensuite aux alliés la
même recommandation.
— Sire, répondit Gérard Kiérez,
nous n’avons d’autre vouloir que l’apaisement, et nous montrer vos fidèles
vassaux.
Louis regarda autour de lui ses
oncles, frères et cousins. « Voyez, semblait-il dire, comme j’ai bien su
arranger toutes choses. »
Puis l’assemblée s’assit, et le
chancelier Étienne de Mornay lut la sentence d’arbitrage qui débutait par une
déclaration d’intention.
Le passé, selon la formule chère au
roi, était oublié, et les haines, offenses et rancunes pardonnées de part et
d’autre. La comtesse Mahaut reconnaissait ses obligations envers ses sujets,
elle s’engageait à maintenir bonne paix au pays d’Artois, à n’exercer aucunes
représailles sur les alliés ni chercher aucune occasion de leur causer mal ou
nuisance. Elle scellerait, comme le roi l’avait fait, les coutumes en usage au
temps de Saint Louis et qui seraient prouvées devant elle par gens dignes de
foi, chevaliers, clercs, bourgeois, avocats.
Louis X écoutait à peine. Ayant
dicté la première phrase, il estimait avoir tout fait. Le détail des
dispositions juridiques, dont il avait laissé la rédaction à Mornay, ne
l’intéressait guère. Sa pensée dérivait ailleurs. Il était en train de compter
sur ses doigts « Février, mars, avril, mai ainsi ce serait donc vers
novembre qu’il me naîtrait un
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