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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Mais
faut-il s’en étonner de la part d’une femme qui n’a point obéi aux volontés de
son père mourant, s’est approprié le bien qui ne lui revenait pas, et a profité
de mon enfance pour me dépouiller ?
    Mahaut, debout, les bras croisés,
regardait son neveu avec colère et mépris tandis qu’à deux pas d’elle l’évêque
de Soissons hésitait à déposer le lourd Évangile.
    — Savez-vous pourquoi, Sire,
poursuivit Robert, Madame Mahaut refuse aujourd’hui votre arbitrage qu’elle
acceptait hier ? Parce que vous y avez ajouté sentence contre Thierry
d’Hirson, contre cette âme vendue et damnée, contre ce maître coquin dont je
voudrais qu’on le déchaussât pour voir s’il n’a pas le pied fourchu !
C’est lui qui pour le compte de Madame Mahaut a si bien travaillé et travesti
les écrits qu’il m’a fait perdre mon hoirie. Le secret de leurs mauvaises
actions les a liés si honteusement que la comtesse Mahaut a dû pourvoir de
bénéfices tous les frères et parents de Thierry, lesquels rançonnent le
malheureux peuple d’Artois, si prospère autrefois, si misérable à présent qu’il
n’a plus de recours que dans la révolte.
    Les alliés écoutaient, le visage
comme ensoleillé, et l’on sentait qu’ils étaient sur le point d’acclamer
Robert. Celui-ci, dans le même mouvement d’emphase, ajouta :
    — Si vous avez le front, si
vous avez l’audace, Sire, de léser maître Thierry, de lui ôter la moindre
parcelle de ses larcins, de menacer le petit ongle du petit doigt du plus petit
de ses neveux, voici Madame Mahaut toutes griffes dehors, et prête à cracher au
visage de Dieu. Car les vœux qu’elle a prononcés au baptême et l’hommage
qu’elle vous fit, genou en terre, ne pèsent rien auprès de son allégeance
envers maître Thierry, son véritable suzerain !
    Mahaut n’avait pas bougé.
    — Le mensonge et la calomnie,
Robert, coulent comme salive de ta bouche, dit-elle. Prends garde de ne jamais
te mordre la langue, tu pourrais en mourir.
    — Taisez-vous, Madame !
s’écria brusquement le Hutin. Taisez-vous ! Vous m’avez trompé ! Je
vous fais défense de retourner en Artois avant d’avoir scellé la sentence qui
vient de vous être signifiée, et qui est une bonne sentence, chacun me l’a dit.
Jusque-là vous vous tiendrez en votre hôtel de Paris ou votre château de
Conflans, mais nulle part ailleurs. C’est assez pour ce jour, ma justice est
rendue.
    Il fut pris d’une violente quinte de
toux, qui le ploya en deux sur son trône.
    « Qu’il crève ! » dit
Mahaut entre ses dents.
    Le comte de Poitiers n’avait pas
prononcé une parole. Il balançait une jambe et se caressait pensivement le
menton.
     

TROISIÈME PARTIE

LE TEMPS DE LA COMÈTE
     

I

LE NOUVEAU MAÎTRE DE NEAUPHLE
    Le second jeudi après l’Épiphanie,
qui était jour de marché, il y avait grande agitation à la banque lombarde de
Neauphle-le-Château. On nettoyait la maison de fond en comble ; le peintre
du village couvrait d’un enduit neuf l’épaisse porte d’entrée ; on
astiquait les coffres-forts dont les traverses de fer brillaient mieux que
l’argent ; on passait le balai entre les poutres pour enlever les toiles
d’araignées ; on chaulait les murs, on cirait les comptoirs ; et les
commis, cherchant les registres épars, les balances, les échiquiers à calcul,
avaient peine à garder leur calme devant la clientèle.
    Une jeune fille d’environ dix-sept
ans, haute de taille, belle de traits, les joues colorées par le froid,
franchit le seuil et s’arrêta, surprise par ce remue-ménage. Au manteau de
camelin beige dont elle était emmitouflée, au fermail qui retenait son col, et
à tout son maintien, on reconnaissait une fille de noblesse. Les villageois
ôtèrent leur bonnet.
    — Ah ! Damoiselle
Marie ! s’écria Ricardo, le premier commis. Soyez la bienvenue !
Entrez, et venez vous chauffer. Votre corbeillon est prêt, comme chaque
semaine ; mais, dans tout ce mouvement, je l’ai fait serrer à part.
    Il fit passer la jeune fille dans
une pièce voisine, qui servait de salle commune aux employés de la banque et où
brûlait un grand feu. Il sortit d’un placard une corbeille d’osier, couverte
d’une toile.
    — Noix, huile, lard frais,
épices, farine de froment, pois secs, et trois grosses saucisses, dit-il. Tant
que nous aurons à manger, vous en aurez aussi. Ce sont les ordres de messire
Guccio. Et j’inscris tout à

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