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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pas à quinze ans en avant, mais au jour où
je suis, et je sais que rien au monde ne peut me remplacer Marie. Elle m’aime.
    — Elle t’aime, dis-tu ?
Alors, mon garçon, si elle t’aime si fort, le mariage n’est pas un état
indispensable pour être heureux à deux. L’évêque de Paris te tiendrait
évidemment un autre langage ; mais moi je t’invite à te réjouir de ce
qu’on veuille donner à cette beauté un mari goitreux, difforme et qui perd ses
dents, selon le portrait que tu m’en fais sans l’avoir vu… Rien ne peut mieux
te favoriser.
    — Ah ! Mon oncle, vous ne
connaissez pas Marie, sa pureté, ni la force de sa religion. Elle ne sera à moi
que par mariage, et jamais elle n’appartiendra qu’à celui auquel elle se sera
unie devant Dieu… Pour ce qui me regarde, je n’accepterais pas de la partager…
Si c’est ainsi, je l’enlèverai sans ton aide, dussions-nous courir les routes
comme des gueux et mourir de froid en passant les montagnes. Mais d’abord, je
vais aller trouver la reine Clémence ; elle me connaît, et me tient en
amitié…
    Tolomei frappa légèrement la table
du bout des doigts. Son œil ordinairement clos s’était brusquement ouvert.
    — Maintenant, tu vas te taire,
dit-il sans presque hausser le ton. Tu n’iras trouver personne, et surtout pas
la reine, car nos affaires ne vont pas si fort depuis qu’elle est là que nous
ayons besoin d’attirer l’attention sur nous par un scandale. La reine est toute
bonté, toute charité, toute pitié, oui, je sais ! En attendant, depuis
qu’elle a pris empire sur l’esprit du roi, nous, les Lombards, on nous taille
jusqu’au sang. C’est avec notre bien que le Trésor fait l’aumône ! On nous
reproche de prêter avec usure ; on nous charge de tous les péchés du
royaume. Monseigneur de Valois nous défend peu et nous déçoit beaucoup… La
reine Clémence te dispensera de douces paroles et force bénédictions ;
mais je connais des gens à la cour qui se complairaient à te faire appliquer le
châtiment réservé aux séducteurs de demoiselles nobles, ne serait-ce que pour
retourner le grief contre moi, capitaine général des Lombards. Le vent ne
souffle plus du même côté ; au vrai, on ne sait plus de quel côté il
souffle. Les amis d’Enguerrand de Marigny, qui ne m’avait guère en grâce, ont
été libérés et forment parti autour du comte de Poitiers…
    Mais Guccio n’entendait rien ;
il se moquait, pour le présent, des taxes, des ordonnances, et des dispositions
du pouvoir. La perspective même de la prison et d’un procès ne l’effrayait pas.
Il s’obstinait dans son projet ; sans l’appui de personne, il enlèverait
Marie.
    — Mais, pauvre disgracié, dit
Tolomei en se touchant le front, vous ne ferez pas dix lieues sans être
arrêtés. Ta donzelle sera mise au couvent ; quant à toi… Tu veux
l’épouser ? Bon ! Je vais tenter de t’en fournir le moyen, puisqu’il
semble que ce soit la seule façon de te guérir…
    Et sa paupière gauche retomba.
    — Folie pour folie, puisque fou
il y a, ce sera toujours moins grave que de te laisser agir seul, ajouta-t-il.
Mais pourquoi doit-on servir les sottises de sa famille !
    Il agita une clochette ; un
commis se présenta.
    — Va au couvent des frères
augustins, lui dit Tolomei, me quérir fra Vicenzo qui est arrivé l’autre matin
de Pérouse…
     

IV

LE MARIAGE DE MINUIT
    Deux jours plus tard, Guccio
reprenait la route de Neauphle en compagnie du moine italien qui devait délivrer
le message de Monseigneur Robert aux alliés d’Artois. Largement défrayé, fra
Vicenzo avait volontiers consenti ce détour afin de rendre à Tolomei deux
services au lieu d’un.
    Ce religieux itinérant, employé par
son ordre à courir les chemins entre la France et l’Italie, n’en était pas à sa
première intrigue. Et le banquier, améliorant un peu la vérité, avait su
présenter les ennuis de son neveu sous un jour assez pathétique. Guccio ayant
séduit une jeune fille, et commis avec elle les fautes de la chair, Tolomei ne
voulait pas que ces deux enfants vécussent plus longtemps dans l’état de péché.
Mais il faudrait procéder discrètement, pour ne pas éveiller les soupçons de la
famille…
    Guccio et son moine se présentèrent
à la nuit venue au manoir de Cressay. Dame Eliabel et ses enfants étaient prêts
à se mettre au lit.
    Le jeune Lombard leur demanda
l’hospitalité, prétextant qu’il

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