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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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servante qu’il avait vue
la veille à Cressay se présenta au comptoir et demanda à lui parler sans
témoin. Elle était chargée d’un message : Marie, qui avait réussi à
s’échapper pour une heure, attendait Guccio à mi-chemin entre Neauphle et Cressay,
au bord de la Mauldre, « à l’endroit que vous savez bien »,
ajouta-t-elle.
    Guccio comprit qu’il s’agissait du
clos de pommiers, au bord de la rivière, où Marie et lui avaient échangé leur
premier baiser.
    — Dites à madame Marie que
c’est de sa part un soin inutile, car, pour la mienne, je ne souhaite plus la
rencontrer.
    — Madame Marie fait peine à
voir, dit la servante. Je vous jure, messire, que vous devriez aller la
retrouver ; si l’on vous a offensé, cela ne vient point d’elle.
    Sans daigner répondre, il se mit en
selle en s’engagea sur la route. « Le quai de Marseille… le quai de
Marseille… Que cela me serve de leçon, se disait-il. Assez de sottises. Dieu
sait ce qui m’attend encore si je la revois ! Qu’elle mange donc ses
larmes toute seule, s’il lui vient l’envie de pleurer ! »
    Il parcourut ainsi deux cents toises
en direction de Paris ; puis brusquement, devant son valet stupéfait, il
fit volter son cheval, le mit au galop et coupa à travers champs.
    En quelques minutes, il fut au bord
de la Mauldre ; il aperçut le clos et, sous les pommiers, Marie qui
l’attendait.
     

III

RUE DES LOMBARDS
    Lorsque Guccio, en fin de journée,
entra dans la cour de la banque Tolomei, rue des Lombards, son cheval était
couvert d’écume.
    Guccio lança les rênes au valet,
traversa la longue salle des comptoirs, déserte à cette heure, et grimpa, aussi
vite que le lui permettait sa hanche raide, l’escalier qui menait au cabinet de
son oncle.
    Il ouvrit la porte ; la lumière
était masquée par le dos de Robert d’Artois. Celui-ci se retourna.
    — Ah ! C’est la Providence
qui vous envoie, ami Guccio, s’écria-t-il en ouvrant les bras. Je demandais
justement à votre oncle un messager diligent et sûr pour courir sur-le-champ en
Artois joindre messire de Fiennes. Mais il vous faudra être prudent, mon
jouvenceau, ajouta-t-il comme si l’acceptation de Guccio ne pouvait faire de
doute ; car mes bons amis d’Hirson ne ménagent pas leur peine, et ils ont
lâché leurs chiens sur tout ce qui vient de chez moi.
    — Monseigneur, répondit Guccio
encore essoufflé, Monseigneur, j’ai manqué vomir mon âme sur la mer, l’autre
année, pour aller vous servir en Angleterre ; je viens de passer six mois
couché pour m’être rendu à Naples au service du roi, et toutes ces courses
n’ont guère fait pour ma félicité. Vous permettrez que, cette fois, je ne vous
obéisse point, car j’ai mes propres affaires qui ne souffrent plus de délai.
    — Je vous paierai si bien que
vous ne le regretterez pas.
    — Pour mille livres,
Monseigneur, je n’irai point ! s’écria Guccio. Et surtout pas en Artois.
    Robert se tourna vers Tolomei qui se
tenait en retrait, les mains croisées sur le ventre.
    — Dites-moi, ami banquier,
avez-vous jamais entendu chose pareille ? Pour qu’un Lombard refuse mille
livres, que je ne lui ai pas offertes au demeurant, il faut qu’il ait de
sérieux motifs. Votre neveu ne serait-il point payé par maître Thierry… que
Dieu l’étrangle, celui-là, et avec ses propres tripes, s’il est possible !
    Tolomei se mit à rire.
    — Ne craignez rien,
Monseigneur ; je soupçonne mon neveu d’être plutôt requis ces jours-ci par
une intrigue d’amour avec une dame de noblesse…
    — Ah ! S’il y a service de
dame, dit d’Artois, je n’y peux rien, et lui pardonne son refus. Mais cela ne
m’avance guère.
    — J’ai ce qu’il vous faut, ne
vous mettez pas en peine, répondit Tolomei ; un excellent messager, qui
vous servira d’autant plus discrètement qu’il ne vous connaît pas. Et puis… une
robe de moine se fait peu remarquer par les chemins.
    — Un moine ?
    Et Robert d’Artois fit la moue.
    — … italien, ajouta le
banquier.
    — Ah ! C’est déjà mieux…
Car voyez-vous, Tolomei, je veux réussir un grand coup. Puisque, sauf à
enfreindre les ordres du roi, ma tante Mahaut ne peut présentement s’éloigner
de Paris, je me propose de faire investir par mes alliés son château d’Hesdin,
ou plutôt mon château d’Hesdin. Je me suis acquis… oui, avec votre or, vous
alliez le dire !… je me suis acquis la conscience de

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