Les Poisons de la couronne
n’avait pas les clefs de son logis de Neauphle,
que ses commis étaient à Montfort et qu’il lui fallait abriter cet homme
d’Église venu lui porter des nouvelles de Toscane. Comme Guccio avait dormi au
manoir à plusieurs reprises, et sur l’insistance des Cressay eux-mêmes, sa
démarche ne parut pas autrement surprenante ; la famille s’efforça de lui
faire bon accueil.
— Fra Vicenzo et moi logerons
dans la même chambre, dit Guccio.
Fra Vicenzo montrait un visage rond
qui inspirait confiance tout autant que son habit ; en outre, il ne
parlait qu’italien, ce qui le dispensait de répondre à aucune question.
Durant le frugal souper offert aux voyageurs,
nulle allusion ne fut faite au prétendu engagement de Marie à un lointain
cousin ; chacun semblait souhaiter éviter le sujet.
Marie n’osait pas regarder Guccio,
mais le jeune homme profita de ce qu’elle passait près de lui pour lui
souffler :
— Cette nuit, ne vous endormez
pas, et soyez prête à sortir.
Au moment de se séparer, fra Vicenzo
adressa à Guccio une phrase incompréhensible pour les Cressay, ou il était
question de chiave et de capella .
— Fra Vicenzo demande,
traduisit Guccio, si vous pouvez lui confier la clé de la chapelle, car il doit
repartir fort tôt, et voudrait dire sa messe auparavant.
— Ne désire-t-il pas, répondit
la châtelaine, que l’un de mes fils l’aide à dire son office ?
Guccio se récria. Fra Vicenzo se
lèverait vraiment très tôt, avant la pointe du jour, et insistait pour que
personne ne se dérangeât. Mais lui, Guccio, se ferait un devoir et un bonheur
de l’assister.
Dame Eliabel remit donc au moine une
chandelle, la clé de la chapelle et celle du tabernacle, puis on se sépara.
— Ce Guccio, je crois
décidément que nous l’avons mal jugé, il est bien respectueux des choses de la
religion, dit Pierre de Cressay à son frère en se dirigeant vers leur
appartement, dans l’aile gauche de la maison.
Dame Eliabel occupait la chambre seigneuriale,
au rez-de-chaussée. Marie logeait à mi-étage de la tour carrée par laquelle on
accédait aux pièces réservées pour les hôtes.
Une fois enfermés dans celle qui
leur avait été apprêtée, fra Vicenzo invita Guccio à se confesser. Et soudain
Guccio s’émerveilla des étranges agencements du destin qui l’amenaient, lui,
petit Siennois né dans un des plus riches palais de sa ville, à se trouver là,
agenouillé sur un plancher disjoint, au milieu de la campagne d’Ile-de-France
et se préparant l’âme devant un môme pérugin qu’il connaissait à peine, pour
épouser nuitamment, au risque de sa vie s’il était découvert, une fille de
pauvre chevalier. Seuls les battements précipités de son cœur lui rappelaient
que c’était bien à lui, au Guccio de tous les jours, que telle chose arrivait.
Vers minuit, alors que tout le
manoir était plongé dans le silence, Guccio et le moine sortirent à pas de loup
de leur chambre. Le jeune homme alla gratter doucement à la porte de Marie, la
jeune fille parut aussitôt. Sans un mot, Guccio lui prit la main, ils
descendirent tous trois l’escalier à vis et gagnèrent l’extérieur par les
cuisines.
— Voyez, Marie, murmura Guccio,
il y a des étoiles. Le frère va nous unir.
Marie ne témoignait ni surprise ni
réticence. Trois jours plus tôt, dans le verger de pommiers, Guccio lui avait
promis de revenir promptement, et il était revenu de l’épouser, et il allait le
faire. Peu importaient les circonstances, elle lui était entièrement,
totalement soumise.
Un chien grogna, puis, ayant reconnu
Marie, se tut. La nuit était glacée, mais ni Guccio ni Marie ne sentaient le
froid.
Ils entrèrent dans la chapelle. Fra
Vicenzo alluma le cierge à la lampe minuscule qui brûlait au-dessus de l’autel.
Bien que nul ne pût les entendre, ils continuaient à parler à voix basse. Le
moine demanda si la fiancée s’était confessée. Elle répondit qu’elle l’avait
fait l’avant-veille, et fra Vicenzo lui donna l’absolution pour les péchés
qu’elle aurait pu commettre depuis.
Quelques minutes plus tard, par
l’échange de deux « oui » étouffés, le neveu du capitaine général des
Lombards de Paris et la demoiselle de Cressay étaient unis devant Dieu, sinon
devant les hommes.
— J’aurais voulu vous offrir de
plus somptueuses noces, murmura Guccio.
— Pour moi, mon doux aimé, il
n’en peut être de plus belles, répondit Marie,
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