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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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échappé à
la mort que pour recevoir pareil affront ! Ah ! Mes craintes
n’étaient pas vaines, quand je désespérais à l’hôtel-Dieu de Marseille. Et ces
absurdes lettres que je lui ai envoyées ! Mais pourquoi m’avoir fait
répondre par Ricardo qu’elle demeurait dans les mêmes pensées, et qu’elle se
languissait de m’attendre… alors qu’elle s’engageait ailleurs ? Cela est
traîtrise et je ne le pardonnerai jamais. Ah ! Le mauvais dîner que
voilà ! Jamais je n’en ai goûté de pire. »
    La recherche d’une vengeance est
parfois un dérivatif au chagrin. « Je pourrais, bien sûr, pensait Guccio,
exiger immédiatement le remboursement de la créance, et peut-être cela les
mettrait-il en telle difficulté qu’il leur faudrait renoncer aux noces. »
Mais le procédé lui parut d’une inadmissible bassesse. Avec des bourgeois, il
en aurait peut-être usé ainsi ; avec des gentilshommes qui prétendaient l’écraser
de leur noblesse, il cherchait une réponse de gentilhomme. Il voulait leur
prouver qu’il était plus grand seigneur que tous les Cressay et tous les
Saint-Venant de la terre.
    Ce souci l’occupa pendant la fin du
repas. Comme on disposait les desserts, il détacha soudain son reliquaire et le
tendit à la jeune fille en disant :
    — Voici, belle Marie, le cadeau
qu’il me plaît de vous offrir pour vos noces. C’est la reine Clémence… oui,
c’est la reine de France qui me l’a elle-même attaché au col pour les services
que je lui ai portés et l’amitié dont elle m’honore. Une relique de saint
Jean-Baptiste y est enfermée. Je ne pensais pas vouloir jamais m’en
séparer ; mais il semble qu’on puisse se défaire sans peine de ce qu’on
tenait pour le bien le plus cher… Que ceci donc vous protège, ainsi que les
enfants que je vous souhaite d’avoir avec votre gentilhomme d’Artois.
    Il n’avait trouvé que cette manière
à la fois de témoigner son mépris et de prouver aux Cressay qu’ils avaient fait
fi, en sa personne, d’un beau parti. C’était payer cher l’occasion d’une
phrase. Décidément, envers ces gens qui n’avaient pas trois deniers vaillants,
les grands mouvements d’âme de Guccio se soldaient toujours par un geste
coûteux. Venu pour prendre, il s’en allait immanquablement en ayant donné.
    Marie eut grand-peine à ne pas
fondre en larmes. Ses mains tremblaient lorsqu’elle approcha le reliquaire de
ses lèvres. Mais Guccio s’était déjà détourné.
    Prétextant sa blessure récente et la
fatigue du voyage, il prit congé sur-le-champ, appela son valet, passa son
manteau fourré, sauta en selle et sortit de la cour de Cressay avec la
certitude qu’il n’y remettrait plus les pieds.
    — À présent, il nous faudrait
tout de même écrire au cousin de Saint-Venant, dit dame Eliabel à ses fils
lorsque Guccio eut passé le portail.
    Rentré au comptoir de Neauphle,
Guccio ne desserra pas les dents de la soirée. Il se fit présenter les livres
et feignit de s’absorber dans l’examen des comptes. Le commis Ricardo comprit
bien que les affaires de son jeune maître avaient rencontré quelque
traverse ; mais il jugea prudent de s’abstenir d’aucune question.
    Guccio passa une nuit sans sommeil
dans l’appartement qu’on lui avait préparé avec tant de soin pour un long
séjour Maintenant, il regrettait son reliquaire, il regrettait sa décision de
se fixer à Neauphle, il regrettait ses lettres, il regrettait tout. « Elle
ne méritait pas tant ; je ne suis qu’un sot… Et l’oncle Spinello, comment
va-t-il prendre mon retour ? se demandait-il en s’agitant entre les draps
rugueux. Car je ne demeurerai pas ici un jour de plus, après une telle
humiliation… Je n’en ferai jamais d’autres et le sort, vraiment, m’est
contraire. Je pouvais revenir dans l’escorte de la reine et obtenir une charge
dans sa maison, je manque le quai pour avoir voulu sauter trop vite, et me
voilà en hospice pendant six mois Au lieu de rentrer à Paris et d’y travailler
à ma fortune, je me précipite en ce bourg perdu, afin d’épouser une fille de
campagne dont je me monte la tête depuis bientôt deux ans, comme s’il n’était
d’autre femme à travers le monde !… et je la trouve engagée à un niais de
sa race. Beau travail ! »
    Au matin, épuisé de regrets, de
rancune et d’insomnie, il fit boucler son bagage et seller son cheval. Il
avalait un bol de soupe, avant de partir, lorsque la

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