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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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les
dents. Parce qu’on avait repoussé les filles follieuses dans les limites
exactes de leur quartier tel qu’assigné par Saint Louis, la prostitution se
développait dans les tavernes et surtout dans les étuves, à ce point qu’un
honnête homme ne pouvait plus aller prendre son bain d’eau chaude sans être
exposé à des tentations de chair qui s’offraient sans voile.
    Clémence avait suggéré à Louis de
restituer aux héritiers Marigny les biens de l’ancien recteur du royaume, au
moins pour la part à elle-même attribuée.
    — Ah ! cela, ma mie, je ne
puis le faire, avait répondu le Hutin, et je ne saurais me déjuger à ce
point ; le roi ne peut avoir tort. Mais je vous promets, dès que l’état du
Trésor le permettra, de constituer à Louis de Marigny une pension qui le
remboursera largement.
    Cependant les Lombards, dont on
avait réduit les privilèges, maniaient moins aisément les clés de leurs coffres
lorsqu’il s’agissait des besoins de la cour. Et les anciens légistes de
Philippe le Bel, Raoul de Presles en tête, formaient un groupe d’opposition
autour du comte de Poitiers ; le connétable Gaucher de Châtillon s’était
franchement déclaré de ce côté.
    En Artois, la situation ne
s’améliorait nullement. En dépit de démarches multipliées, la comtesse Mahaut
demeurait irréductible et refusait de signer l’arbitrage. Elle se plaignait de
ce que les barons aient machiné une opération pour investir son château
d’Hesdin. La trahison de deux sergents, qui devaient livrer la place aux
alliés, avait été découverte à temps ; et maintenant deux squelettes
pendaient, pour l’exemple, aux créneaux d’Hesdin. Néanmoins la comtesse,
obligée de se plier à l’interdiction, n’était pas retournée en Artois depuis la
Noël, non plus qu’aucun membre de la famille d’Hirson. Aussi la confusion
était-elle grande dans tout le pays autour d’Arras, chacun se réclamant du pouvoir
qui lui plaisait ; et les bonnes paroles n’avaient pas plus d’effet sur
les barons que du lait coulant sur leur cuirasse.
    — Point de sang, mon doux
seigneur, point de sang ! suppliait Clémence. Amenez par la prière vos
peuples à raison.
    Cela n’empêchait pas qu’on s’étripât
ferme sur les routes du Nord.
    Peut-être le Hutin eût-il mis plus
d’énergie à résoudre l’affaire si, dans le même moment, environ le temps de
Pâques, toute son attention n’avait été requise par la situation de Paris.
    Le pluvieux été de 1315, l’été de
l’ost boueux, s’était révélé doublement funeste, le roi ayant enlisé son armée
et le peuple vu les récoltes pourrir sur pied. Toutefois, instruits par
l’expérience de l’année précédente, les gens de campagne, si démunis qu’ils
fussent, n’avaient pas vendu le peu de blé moissonné. La famine se déplaça donc
des provinces vers la capitale où le froment croissait en prix à mesure que les
habitants maigrissaient.
    — Mon Dieu, mon Dieu, qu’on les
nourrisse, disait la reine Clémence en voyant les hordes faméliques qui se
traînaient jusqu’à Vincennes pour mendier pitance.
    Il vint tant de pauvres qu’on dut
faire défendre l’accès du château par la troupe. Clémence conseilla de grandes
processions du clergé à travers les rues, et imposa à toute la cour, après
Pâques, le même jeûne que pendant le carême. Monseigneur de Valois s’y plia
complaisamment ; mais il trafiquait des céréales de son comté. Robert
d’Artois, chaque fois qu’il lui fallait se rendre à Vincennes, avalait au
préalable le repas de quatre hommes, en répétant l’une de ses maximes
favorites : « Vivons bien, nous mourrons gras. » Après quoi, à
la table de la reine, il pouvait faire figure de pénitent.
    Au milieu de ce mauvais printemps,
une comète passa dans le ciel de Paris, où elle resta visible trois nuits
durant. Rien n’arrête l’imagination du malheur. Le peuple voulut reconnaître là
l’annonce de grandes calamités, comme si celles qu’il subissait ne suffisaient
pas. La panique s’empara de la foule et des émeutes éclatèrent en plusieurs
points, sans qu’on sût au juste contre qui elles étaient dirigées.
    Le chancelier engagea vivement le
roi à rentrer en ville, ne fût-ce que pour quelques jours, afin de se montrer
au milieu de la population. Ainsi, au moment où les bois commençaient à verdir
autour de Vincennes, Clémence, qui retrouvait du charme à ce séjour,

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