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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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puisque c’est à vous qu’elles me
lient.
    Ils revinrent sans difficulté dans
la maison, remontèrent l’escalier. Arrivés à mi-étage, fra Vicenzo prit Guccio
par les épaules et le poussa doucement dans la chambre de Marie.
    Depuis près de deux ans, Marie
aimait Guccio. Depuis près de deux ans, elle ne pensait qu’à lui et ne vivait
que de l’espoir de lui appartenir. Maintenant que sa conscience était en paix
et que l’effroi de la damnation était écarté, rien ne l’obligeait plus à
contenir sa passion.
    La souffrance des filles, à
l’instant de leurs noces charnelles, vient plus souvent de la peur que de la
nature. Marie avait le goût de l’amour avant que de l’avoir connu, elle s’y
abandonna avec franchise, avec éblouissement Guccio, pour sa part, bien qu’il
n’eût que dix-neuf ans, possédait assez d’expérience pour éviter les hâtes
maladroites. Il fit de Marie, cette nuit-là, une femme heureuse, et comme, en
amour, on ne reçoit qu’à la mesure de ce qu’on donne, il fut lui-même comblé.
    Vers quatre heures, le moine vint
les réveiller, et Guccio regagna sa chambre Puis fra Vicenzo descendit avec
quelque bruit, passa par la chapelle, alla sortir sa mule de l’écurie et
disparut dans la nuit.
    Aux premières lueurs de l’aurore,
dame Eliabel entrouvrit la porte de la chambre des voyageurs et jeta un coup
d’œil à l’intérieur Guccio dormait d’un bon sommeil au souffle régulier, ses
cheveux noirs bouclaient sur l’oreiller, son visage avait une expression de
paix et d’enfance.
    « Ah le joli cavalier que
voila » pensa dame Eliabel en soupirant.
     
     

V

LA COMÈTE
    Dans ce même temps de la fin janvier
où Guccio Baglioni épousait secrètement Marie de Cressay, la cour de France,
pour accomplir le vœu de la reine Clémence, effectuait le pèlerinage d’Amiens.
    Après avoir franchi, les pieds dans
la boue, la dernière partie du chemin, et traversé la ville en chantant des
psaumes, les pèlerins royaux parcoururent à genoux la nef de la cathédrale,
pour parvenir au bout d’une lente et pénible reptation devant la tête présumée
de saint Jean-Baptiste, exposée dans une chapelle latérale.
    La relique provenait d’un nommé
Wallon de Sartou, croisé en 1202, qui s’était fait en Terre sainte chercheur de
pieuses dépouilles et avait rapporté dans ses bagages trois pièces inestimables :
le chef de saint Christophe, celui de saint Georges, et une partie de celui de
saint Jean.
    Entourée d’innombrables cierges et
de milliers d’ex-voto accumulés pendant un siècle, la relique d’Amiens n’était
constituée que des os du visage, enchâssés dans un reliquaire de vermeil dont
le haut, en forme de calotte, remplaçait le crâne manquant. Cette face de
squelette, toute noire sous sa couronne de saphirs et d’émeraudes, semblait
rire, et était proprement terrifiante. On y distinguait, au-dessus de l’orbite
gauche, un trou qui, selon la tradition, était la marque du coup de stylet
porté par Hérodiade lorsqu’on lui avait présenté la tête du précurseur. Le tout
reposait sur un plat d’or.
    Clémence, apparemment insensible au
froid de la chapelle, s’abîma en dévotions, et Louis X lui-même, touché
par la ferveur, parvint à demeurer immobile durant toute la cérémonie, l’esprit
évoluant en des régions qu’il n’avait pas coutume d’atteindre.
    Les heureux résultats de ce
pèlerinage ne tardèrent pas à se manifester. Vers la mi-mars, la reine présenta
des symptômes qui lui permirent d’espérer que la bienfaisante intercession du
saint avait exaucé ses prières.
    Néanmoins, physiciens et
sages-femmes n’osaient encore se prononcer, et demandaient un plein mois avant
d’émettre une certitude.
    Pendant cette attente, le mysticisme
de la reine gagna son époux, lequel se mit à gouverner tout juste comme s’il
aspirait à la canonisation.
    Il est généralement mauvais de
détourner les gens de leur nature. Mieux vaut laisser un méchant à sa
méchanceté que de le transformer en mouton ; la bonté n’étant pas son
affaire, il en usera de façon déplorable.
    Le Hutin, imaginant qu’il
obtiendrait de la sorte la rémission de ses propres péchés, graciait et
amnistiait sans discernement, tout ému de vider les prisons ; si bien que
le crime florissait à Paris où se commettaient plus de rapines, d’agressions et
de meurtres qu’on n’en avait vu depuis quarante ans. Le guet était sur

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